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Au-dessus de la porte à cent sous étaient inscrits ces
mots :
Entrée
des philosophes.
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« Une bonne partie de la drôle de guerre, je l’ai
passée dans un dépôt avec des rebuts de l’armée française : infirmes,
invalides, incapables, communistes, anarchistes, oubliés, cinglés, égarés.
On y buvait beaucoup, du vin rouge principalement. On y avait de larges
loisirs, comblés par le sommeil, les parties de cartes et l’école buissonnière.
Je prenais une part active à toutes ces occupations, notamment pour ce
qui était de la consommation du rouquin. Que je fusse un intellectuel,
cela stupéfiait mes camarades. L’un d’eux me demande un jour ce que je
faisais dans la vie ; embarrassé, je lui réponds : professeur
(c’était pas vrai). De quoi ? De philosophie (pas vrai, non plus,
mais enfin : j’ai un diplôme). Ah ! ah ! Le camarade me
toise avec sympathie et, se souvenant des bons kils de gros rouge que
nous avions vidés ensemble, conclut : « C’est vrai, je l’avais
toujours pensé que tu étais philosophe » (il ne dit pas : un
professeur de philosophie). Il est très rare de voir beaucoup de philosophes
ensemble (je ne parle pas, bien sûr, des congrès), l’occasion pourtant
m’en avait été fournie quelque temps auparavant, grâce à la fréquentation
de Luna-Park. Il y avait dans cet endroit une attraction fort attrayante
et qui s’appelait le Palais du Rire. C’était stupide naturellement, ces
toboggans, ces escaliers à ressorts, ces trimbalements, ces brimades.
Mais la conclusion était bien intéressante, | pour les amateurs s’entend.
Un courant d’air soulevait la jupe des filles, maintenues solidement par
des salariés énergiques. Il faut ajouter qu’on pouvait se dispenser du
trajet absurde en payant cent sous au lieu d’un franc ; on allait
alors s’asseoir juste devant la sortie. On était bien placé. Au-dessus
de la porte à cent sous étaient inscrits ces mots : Entrée
des philosophes. »
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