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« Considérons deux propositions :
la première, les assassins méritent la peine de mort ; la seconde,
Rodion Raskolnikov mérite la peine de mort. Il est évident que ces deux
propositions ne sont pas synonymes. Paradoxalement, cela n’est pas dû
à ce que les assassins sont concrets et Raskolnikov abstrait ou fictif
mais à l’inverse. Le concept d’assassin dénote une simple généralisation ;
Raskolnikov, pour celui qui a lu son histoire, est un être réel. Dans
la réalité, il n’y a pas, à strictement parler, d’assassins ; il
y a des individus que la maladresse du langage inclut dans cet ensemble
indéterminé. (C’est rigoureusement ce que soutient le nominalisme de Roscelin
et de Guillaume d’Occam.) Autrement dit, celui qui a lu le roman de Dostoïevski
a été, d’une certaine façon, Raskolnikov, et il sait que son « crime »
n’est pas un acte libre car il a été préparé et déterminé par un réseau
inévitable de circonstances. L’homme qui a tué n’est pas un assassin,
l’homme qui a volé n’est pas un voleur, l’homme | qui a menti n’est pas
un imposteur ; c’est ce que savent (ou plutôt ce que ressentent)
les condamnés ; par conséquent il n’y a pas de châtiment sans injustice.
La fiction juridique d’assassin peut mériter la peine de mort mais pas le malheureux
qui a assassiné, poussé par son histoire antérieure et peut-être – oh !
marquis de Laplace ! – par l’histoire de l’univers. Mme de Staël
a condensé ces arguments dans une phrase célèbre : Tout comprendre c’est tout pardonner. »
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« Que signifie
vivre ? – Vivre, cela signifie : repousser loin de
soi quelque chose qui veut mourir. Vivre, cela signifie : être cruel
et implacable envers tout ce qui, en nous, devient faible et vieux, et
pas seulement en nous. Vivre, cela signifierait donc : être sans
pitié pour les agonisants, les misérables, les vieillards ? Être
sans cesse assassin ? – Et pourtant le vieux Moïse a dit : Tu ne tueras point. »
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