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« Attendre. Chez toi, faire
attendre, c’est de l’art, un supplice chinois. Tu sais tous les trucs,
tous les moyens les plus épouvantables de faire du mal et de nuire. Ce
que j’ai attendu ! Je compte jusqu’à mille, jusqu’à dix mille, jusqu’à
cent mille. Je compte mes pas entre la fenêtre et la porte. Je combine
des calculs pour que mes pas comptent le double. Je mets un disque. Je
commence un livre. J’écoute… J’écoute avec toute ma peau comme les bêtes.
Et quelquefois je n’y tiens plus et je téléphone. Je téléphone dans une
de ces sales boites où tu traînes, où tu dois torturer d’autres femmes.
Et tu viens toujours de partir. Et jamais on ne sait où tu es parti. Et
la dame du lavabo prend une voix de mère poule, une voix compatissante.
Ah ! je la tuerais ! Du reste, il est possible que je te tue.
On cite des femmes qui ont tué leur amant pour moins que ça.
Attendre. Attendre. Attendre toujours. Il y a de quoi devenir folle. Et
ce sont les folles qui tuent… Après je me tuerai. Je ne supporterai pas
de vivre sans toi. J’en suis certaine. Mais que veux-tu, c’est un réflexe.
Qui résisterait ? Je me le demande. Regarde, je parle, je parle,
n’importe qui d’autre jetterait ce journal, me répondrait, s’expliquerait
ou me giflerait. Toi, non. Tu lis ton journal ou tu fais semblant de le
lire. Je donnerais cher pour voir ta figure derrière ce journal. Ta figure
de diable. Une figure que j’adore et qui me donne envie de prendre un
revolver et de te tirer dessus. Écoute, Émile, j’ai bien réfléchi. Cette
nuit, j’ai décidé de tout te dire. Tu es habitué à ce que je souffre en
silence. À ce que je la boucle. Mais la mesure est comble. À 2 heures
je m’étais promis, si tu rentrais, de me taire, d’être gentille, de me
coucher et de faire comme si je dormais, comme si tu me réveillais. À
2 h 10, la torture de l’ascenseur et des voitures a commencé. À 2 heures
un quart, ta sœur a eu l’idée géniale, lumineuse, de faire sa police,
de voir si tu étais à l’hôtel, et à 2 heures et demie, j’ai perdu le contrôle
de moi-même. J’ai décidé, dé-ci-dé que je parlerais et que j’en finirais
avec ce silence. Oh ! tu peux te taire, tu peux lire ton journal,
tu peux te réfugier derrière ton journal. Je m’en fous. Je ne serai pas
| ta dupe. Je te vois, je te vois malgré le journal. Ma scène t’embête.
Tu ne t’y attendais pas. Tu te disais : « C’est une victime,
profitons-en. » Eh bien non, non, non et non, je refuse d’être une
victime et de me laisser cuire à petit feu. Je vivrai. Je lutterai. J’obtiendrai
gain de cause. » |
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« L’homme
qui sait attendre. Ne s’empresser, ni ne se passionner jamais,
c’est la marque d’un cœur qui est toujours au large. Celui qui sera le
maître de soi-même, le sera bientôt des autres. Il faut traverser la vaste
carrière du temps pour arriver au centre de l’occasion. Un temporisement
raisonnable mûrit les secrets et les résolutions. La béquille du temps
fait plus de besogne que la massue de fer d’Hercule. Dieu même, quand
il nous punit, ne se sert pas du bâton, mais de la saison. Ce mot est
beau : le temps et moi nous en valons deux autres. La fortune même
récompense avec usure ceux qui ont la patience de l’attendre. » |