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Dernière édition MMIV Dé 21 - Minuit  
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Attendre. Attendre. Attendre toujours.
  « Attendre. Chez toi, faire attendre, c’est de l’art, un supplice chinois. Tu sais tous les trucs, tous les moyens les plus épouvantables de faire du mal et de nuire. Ce que j’ai attendu ! Je compte jusqu’à mille, jusqu’à dix mille, jusqu’à cent mille. Je compte mes pas entre la fenêtre et la porte. Je combine des calculs pour que mes pas comptent le double. Je mets un disque. Je commence un livre. J’écoute… J’écoute avec toute ma peau comme les bêtes. Et quelquefois je n’y tiens plus et je téléphone. Je téléphone dans une de ces sales boites où tu traînes, où tu dois torturer d’autres femmes. Et tu viens toujours de partir. Et jamais on ne sait où tu es parti. Et la dame du lavabo prend une voix de mère poule, une voix compatissante. Ah ! je la tuerais ! Du reste, il est possible que je te tue. On cite des femmes qui ont tué leur amant pour moins que ça.
Attendre. Attendre. Attendre toujours. Il y a de quoi devenir folle. Et ce sont les folles qui tuent… Après je me tuerai. Je ne supporterai pas de vivre sans toi. J’en suis certaine. Mais que veux-tu, c’est un réflexe. Qui résisterait ? Je me le demande. Regarde, je parle, je parle, n’importe qui d’autre jetterait ce journal, me répondrait, s’expliquerait ou me giflerait. Toi, non. Tu lis ton journal ou tu fais semblant de le lire. Je donnerais cher pour voir ta figure derrière ce journal. Ta figure de diable. Une figure que j’adore et qui me donne envie de prendre un revolver et de te tirer dessus. Écoute, Émile, j’ai bien réfléchi. Cette nuit, j’ai décidé de tout te dire. Tu es habitué à ce que je souffre en silence. À ce que je la boucle. Mais la mesure est comble. À 2 heures je m’étais promis, si tu rentrais, de me taire, d’être gentille, de me coucher et de faire comme si je dormais, comme si tu me réveillais. À 2 h 10, la torture de l’ascenseur et des voitures a commencé. À 2 heures un quart, ta sœur a eu l’idée géniale, lumineuse, de faire sa police, de voir si tu étais à l’hôtel, et à 2 heures et demie, j’ai perdu le contrôle de moi-même. J’ai décidé, dé-ci-dé que je parlerais et que j’en finirais avec ce silence. Oh ! tu peux te taire, tu peux lire ton journal, tu peux te réfugier derrière ton journal. Je m’en fous. Je ne serai pas | ta dupe. Je te vois, je te vois malgré le journal. Ma scène t’embête. Tu ne t’y attendais pas. Tu te disais : « C’est une victime, profitons-en. » Eh bien non, non, non et non, je refuse d’être une victime et de me laisser cuire à petit feu. Je vivrai. Je lutterai. J’obtiendrai gain de cause. »
       
L’homme qui sait attendre.
  « L’homme qui sait attendre. Ne s’empresser, ni ne se passionner jamais, c’est la marque d’un cœur qui est toujours au large. Celui qui sera le maître de soi-même, le sera bientôt des autres. Il faut traverser la vaste carrière du temps pour arriver au centre de l’occasion. Un temporisement raisonnable mûrit les secrets et les résolutions. La béquille du temps fait plus de besogne que la massue de fer d’Hercule. Dieu même, quand il nous punit, ne se sert pas du bâton, mais de la saison. Ce mot est beau : le temps et moi nous en valons deux autres. La fortune même récompense avec usure ceux qui ont la patience de l’attendre. »
       
     
       
     
       
     
       
 
   
       
       

 

   
J. Cocteau (1889-1963), Le Bel Indifférent : monologue (1940), 1960 ; Gallimard, « Pléiade » : Théâtre complet, 2003, p. 858-859.
   
B. Gracián (1601-1658), Oráculo manual y Arte de prudencia (1647), § 55 : Hombre de espera. Arguye gran coraçón, con ensanches de sufrimiento. Nunca apressurarse ni apassionarse. Sea uno primero señor de sí, y lo será después de los otros. Hase de caminar por los espacios del tiempo al centro de la ocasión. La detención prudente sazona los aciertos y madura los secretos. La muleta del tiempo es más obradora que la açerada claba de Hércules. El mismo Dios no castiga con bastón, sino con saçón. Gran dezir : « el Tiempo y yo, a otros dos ». La misma Fortuna premia el esperar con la grandeza del galardón. – trad. Amelot de La Houssaie (1634-1706) : L’Homme de cour, 1684.
   

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