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Dernière édition MMV - Ours - Minuit  
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  Pourquoi tant d’attente ?
En attente de jugement, le prevénu est désormais condamné à l’attente.
Au temps d’arrêt, au temps mort, au temps perdu.
Le temps file son mauvais coton,
mauvais fil, mauvaise file,
au guichet, dans la salle,
- des pas perdus.
       
Dans ma poitrine, l’horloge de sang bat la mesure redoutable du temps de l’attente
  « Avant que ne sonne l’impatient timbre / Et que l’on ouvre la porte et que tu entres, ô toi / Qu’attend mon anxieux désir, l’univers est tenu / D’avoir exécuté une infinie / Série d’actes concrets. Personne ne peut / Compter ce vertige, le chiffre / Des choses que multiplient les miroirs, / Des ombres qui s’allongent et régressent, / Des pas qui divergent et convergent. / Le sable ne saurait les dénombrer. / (Dans ma poitrine, l’horloge de sang mesure / Le redoutable temps de l’attente.) //| Avant que tu n’arrives, / Un moine est tenu de rêver d’une ancre, / Un tigre est tenu de mourir à Sumatra, / Neuf hommes sont tenus de mourir à Bornéo. »
       
L’attente est un supplice : la personne condamnée au supplice de l’attente se ronge les ongles jusqu’au sang, se dessèche sur place ; ce qui l’entoure n’a pas de réalité ; elle est seule dans un désert…
 

« Sans aller jusqu’aux années, même en comptant modestement en heures, l’attente est un supplice. N’importe quel lieu où l’on attend – aussi merveilleux soit-il : la plus belle ville, un chalet sous la neige, une plage – prend à nos yeux les apparences d’une salle d’attente froide et nue, avec pour seule attention aimable une pile de vieux journaux illisibles posés sur une table basse au milieu. Le monde entier peut se muer en salle d’attente. Alors quoi qu’on fasse, quelles que soient la frénésie ou la désinvolture affichées de notre comportement, rien ne parvient à nous distraire de l’attente. Nous ne sommes qu’attente. Et même si nous réussissons à tromper l’attente, nous ne nous trompons pas nous-mêmes.
Les gens ne s’y trompent pas davantage. Attendre est flagrant. Observons autour de nous dans un | café… La personne qui attend se distingue au premier regard. Par son air de vigilance crispée, par une tension douloureuse qui se dégage de son attitude, soit qu’elle scrute passionnément chaque nouvel arrivant, soit qu’elle fasse semblant de s’absorber dans sa lecture. Mais, toutes les cinq minutes, elle lève les yeux de son journal, consulte son téléphone mobile, passe en revue à nouveau les clients – tous ces heureux oisifs confortablement installés à leur table, dans la délectation du moment présent ; s’ils boivent un café, ils en sentent le goût, s’ils ouvrent le journal, ils le lisent vraiment, et s’ils se contentent de regarder les passants, ils prennent le temps, remarquent un détail, croisent des yeux qui leur sourient. Les bienheureux ! Ils ne connaissent pas leur chance ! La personne condamnée au supplice de l’attente se ronge les ongles jusqu’au sang, se dessèche sur place. Ce qui l’entoure n’a pas de réalité. Elle est seule dans un désert. Elle fixe un horizon vide, vibrant d’une lumière blanche, aveuglante. »

       
     
       
     
       
     
       
 
   
       
       

 

   
J. L. Borges (1899-1986), Histoire de la nuit (1977), « L’attente » (1977) : Antes que suene el presuroso timbre / Y abran la puerta y entres, oh esperada / Por la ansiedad, el universo tiene / Que haber ejecutado una infinita / Serie de actos concretos. Nadie puede / Computar ese vértigo, la cifra / De lo que multiplican los espejos, / De sombras que se alargan y regresan, / De pasos que divergen y convergen. / La arena no sabría numerarlos. / (En mi pecho, el reloj de sangre mide / El temeroso tiempo de la espera.)// Antes que llegues, / Un monje tiene que soñar con un ancla, / Un tigre tiene que morir en Sumatra, / Nueve hombres tienen que morir en Borneo. – Gallimard, « Pléiade » : Œuvres complètes, t. ii, 1999, p. 624-625.
   
C. Thomas, Souffrir, « Attendre », “Salle d’attente” ; Payot & Rivages, « Manuels Payot », 2004, p. 48-49.
   

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