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« Parmi les premiers matériaux
rapportés d’Amérique par les conquistadores, le caoutchouc (mot amérindien
signifiant « arbre qui pleure ») ne sortit guère, deux siècles
durant, de la cour d’Espagne. Son usage était purement ludique (balles
de jeu de paume) ou hygiénique, à l’imitation des Indiens du Brésil qui
en faisaient, entre autres, des poires à lavement. Ce n’est qu’au cours
de la seconde moitié du xviiie siècle que la curiosité
d’histoire naturelle se mua en matériau apprécié pour sa souplesse et
son imperméabilité. La Condamine, qui l’avait rapporté à Paris de sa reconnaissance
du cours de l’Amazone, à la suite de l’expédition envoyée au Pérou mesurer
le méridien (1735-1743), en confia un échantillon au chimiste Macquer,
qui montra qu’on pouvait le dissoudre dans l’essence de térébenthine ou
dans l’éther. Cette dissolution (analogue à celle dont les cyclistes usèrent
longtemps pour coller des rustines) permit, par application au pinceau
sur une forme, de fabriquer – pour le roi Frédéric II de Prusse – la première
paire de bottes en caoutchouc. Vers 1823, l’Écossais Charles Macintosh
parvint à fabriquer des vêtements imperméables en insérant un feuillet
de caoutchouc résultant de l’évaporation d’une dissolution entre deux
toiles. Charles Goodyear, quant à lui, quincaillier américain en faillite,
se mit en tête, à partir de 1834, de rentabiliser le caoutchouc. Une bonne
part de ses expériences furent réalisées en prison, là où ses dettes l’avaient
conduit. Il inventa un procédé, à base de nitrates, permettant d’en faire
des feuilles et des bâches, puis découvrit la vulcanisation, c’est-à-dire
le durcissement d’un échantillon de caoutchouc enrichi de soufre et chauffé.
En 1851, il présenta à Londres, lors de l’Exposition universelle, trois
pièces entièrement garnies de caoutchouc : tapis tentures, rideaux,
meubles, etc. Sans doute Goodyear inspira-t-il le capitaine Cap, qui,
selon Alphonse Allais, inventa « un procédé pour ôter au caoutchouc
cette élasticité qui le rend impropre à tant d’usages ». Toujours
est-il que la gomme ainsi vulcanisée servit à la fabrication de bandages
pour les roues, puis de pneumatiques. Des vêtements imperméables aux combinaisons
de plongée sous-marine et aux bateaux pneumatiques, des gants aux diaphragmes
et aux préservatifs, des balles de tennis aux dirigeables et des revêtements
de sol aux gaines de câbles électriques on ne compte plus les utilisations
du caoutchouc. Le début du xxe siècle connut une véritable
ruée vers le caoutchouc produit par l’espèce Hevea brasiliensis en Amazonie. La ville
de Manaus connut une période fastueuse dont le point culminant fut la
construction d’un opéra, copie du palais Garnier. Cependant, comme l’indiquait
la radio de la pension du M. Hulot de Jacques Tati, « les cours du
caoutchouc sont élastiques ». Les deux guerres mondiales en firent
un matériau stratégique ; elles accélérèrent la délocalisation des
lieux de culture de l’hévéa (Indochine Malaisie) et la production de caoutchoucs
synthétiques, dont des dizaines sont à présent utilisés à très grande
échelle. » |