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  Cellule  

  Cellules d’abeilles, cellule de moine, cellule de pénitent. Cellule de crise. Une cellule peut être aussi maligne.
         
Je suis chartreux, je vis dans ma cellule : je ne suis au monde que quand je vous vois…
  « Si je vous oubliais, Madame, je serais ingrat. Si je vous avez quittée pour quelque comtesse de Potsdam, je serais inconstant. Mais je pense toujours à vous, et je n’ai mis que la plus profonde solitude à la place des entretiens charmants dont vous m’honoriez. Soyez bien sûre, Madame, que vous me rendez le reste du monde insipide. Je le suis devenu loin de vous au point de ne vous pas écrire, mais je suis chartreux. Je vis dans ma cellule. Je ne suis au monde que quand je vous vois. Au reste, en qualité de moine, je prie Dieu pour le succès de vos affaires et, en qualité de philosophe, je déteste les titres qu’on prodigue, et la fausse ivresse d’une affection de commande pour des personnes qu’on n’a presque point vues. Ce feint enthousiasme déplaît bien à la sincérité de mon cœur, qui vous aime véritablement. Je vous suis attaché, Madame, parce que je vous connais. Il n’est pas permis de l’être autrement. »  
         
Biologie et sociologie de la cellule.
  « En biologie, les cellules sont considérées comme les éléments de base à partir desquels sont constitués tous les êtres vivants. Même s’il existe de réelles différences entre cellules animales et végétales, ces éléments présentent des caractéristiques communes à toutes les espèces, en ce qui concerne leur structure et leurs fonctions fondamentales : une membrane cellulaire entoure le cytoplasme, sorte de substance fondamentale, et un noyau central. Il est commode d’affirmer que le noyau assure la fonction de reproduction alors que les organites intracellulaires assurent les fonctions métaboliques, mais cette division fonctionnelle n’est pas si franche : le noyau ne peut rien faire sans le reste de la cellule, et les fonctions métaboliques ne peuvent être assurées sans le concours du noyau. Le mot cellule (petite chambre) semble avoir connu des usages en zoologie et en botanique dès le xiiie siècle, mais il ne prend toute son importance qu’au xixe siècle. En fait, l’importation du terme en biologie vient plus probablement de l’observation des ruches et des cellules d’abeilles, et de la coopération qu’elle suggère. L’observation des structures cellulaires dépend bien sûr de l’invention du microscope au xviie siècle, et surtout de celle du microscope achromatique (vers 1820). Mais l’idée de cellule est aussi née de spéculations philosophiques comme celles de la Naturphilosophie allemande de la fin du xviiie siècle. Les philosophes de la nature croyaient profondément en l’unité de la nature et cherchaient à montrer l’existence d’éléments communs à tous les organismes vivants. Lorenz Oken, en 1805, supposait que ces organismes étaient composés d’infusoires, donc d’êtres unicellulaires (des « animaux primitifs ») qui travaillaient en somme à une œuvre commune : « Ils ne mènent plus de vie propre à partir de ce moment. Ils sont tous mis au service de l’organisme le plus élevé ; ils travaillent en vue d’une fonction commune et unique, ou bien ils effectuent cette fonction en se réalisant eux-mêmes. »
Il est clair que ces métaphores de l’organisme s’inspirent d’une vision des sociétés humaines où les individus vivent et travaillent pour le bien de la collectivité, entendue souvent comme une sorte d’être supérieur. Inversement, on trouve souvent dans la littérature des références à la cellule biologique. Proust écrivait (Le Temps retrouvé) : « De même qu’il est des corps d’animaux, des corps humains, c’est-à-dire des assemblages de cellules dont chacun par rapport à une seule est grand comme le mont Blanc, de même il existe d’énormes entassements d’individus qu’on appelle nations. »
En sociologie, on parle aussi de la cellule familiale ou de la famille cellulaire, c’est-à-dire de la famille élémentaire dont la famille au sens large | et surtout les sociétés sont composées. Le naturaliste allemand Theodor Schwann (1810-1882), qui postulait vers 1830 que les cellules se forment au sein d’une sorte de liquide primordial, le blastème, est souvent considéré comme le fondateur de la théorie cellulaire. Un peu plus tard, Rudolf Virchow, pathologiste et homme politique allemand (1821-1902), affirmait au contraire que toute cellule naît d’une cellule préexistante : « Omnis cellula e cellula. » On commencera d’ailleurs à partir de cette époque à s’interroger sur la question de la division cellulaire et à poser la question de l’hérédité en termes de cellule. Dans la seconde moitié du xixe siècle, les biologistes allemands donnent au noyau cellulaire le rôle de support de l’hérédité. Virchow cherche à établir les bases d’une nouvelle pathologie, fondée sur l’idée que tout phénomène morbide apparaît d’abord au niveau cellulaire, modèle qui domine encore la pensée médicale contemporaine. Les modèles explicatifs du cancer font appel à l’idée d’un dérèglement cellulaire, l’action des médicaments est expliquée par des effets sur les récepteurs de la cellule, et de nombreuses maladies sont conçues comme des défauts de communication entre cellules. Ce réductionnisme est aujourd’hui aggravé par la « molécularisation » de la biologie et de la médecine, au point que l’on perd parfois de vue l’idée que l’organisme est un tout qui ne fonctionne pas qu’au niveau cellulaire et qui, de plus, n’est pas exclusivement composé de cellules. Il existe en effet des substances nucléées mais sans structures cellulaires, comme les cartilages ou les os. Sans oublier les liquides interstitiels du « milieu intérieur », qui bien que cellulaires et anucléés jouent un rôle fondamental dans l’organisme. »
 
         
Pascal décrivit notre vie comme une cellule où les captifs attendent qu’on vienne les chercher, à tour de rôle, pour l’exécution
  « La communication coupée. – Dans le théâtre social des apparences, où personne ne parle vraiment à personne, où personne n’écoute personne et où personne ne répond, on fait grand tapage autour de ce qui manque le plus : les relations « humaines ». Les bateleurs sur | l’estrade n’ont que le mot communication à la bouche. On déplore gravement qu’un homme d’État en mauvais état ait des « problèmes de communication ». On se tourmente parce qu’un « message ne passe plus ». Et on annonce avec fierté qu’un personnage de la pièce vient d’engager à son service un « conseiller en communication ». Quant au contenu de la « communication », quant au sens du « message », il n’en est bien entendu jamais question.
Les vrais problèmes de « communication » entre les hommes n’ont aucun rapport avec les pitreries des experts en communication, des publicitaires et des manipulateurs de médias. Pascal inventa, deux siècles avant Kafka, le conte à la Kafka. Il décrivit notre vie comme une cellule où les captifs attendent qu’on vienne les chercher, à tour de rôle, pour l’exécution. On pourrait décrire aussi les habitants du cachot allégorique de Pascal, l’oreille collée au mur, devinant de l’autre côté de la muraille, des présences et des voix qu’ils ne parviennent pas à comprendre ni à déchiffrer. La littérature est ce passe-muraille qui tente de « faire passer » ce que disent les inconnus au-delà des murs. »
 
         
       
         
       
         
       
         
         
         
         
         
         
         
         
         

   
Voltaire (1694-1778), Lettre, no 3230, à Charlotte-Sophie von Altenburg comtesse Bentinck, octobre 1751 ; Gallimard, « Pléiade » : Correspondance, t. III, 1975, p. 497.
   
C. Sinding, « Cellule », in Dictionnaire culturel des sciences, sous la direction de N. Witkowski, Seuil-Regard, 2001, p. 90-91.
   
C. Roy (1915-1997), L’Étonnement du voyageur (1987-1989), « 1987 : Automne », “La communication coupée”, 9 octobre 1987 ; Gallimard, « NRF », 1990, p. 14-15.
   
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