Retour au menu
Dernière édition MMV - Équinoxe du printemps  
Retour en prison ‡‡ Seuil / Menu / Prison /
Dangerosité / Prison / Menu / Seuil ‡‡ Tour de prison
       
   
       
La grande notion de la criminologie et de la pénalité, vers la fin du xixe siècle, a été la scandaleuse notion, en termes de théorie pénale, de dangerosité : la notion de dangerosité signifie que l’individu doit être considéré par la société au niveau de ses virtualités, et non pas au niveau de ses actes ; non pas au niveau des infractions effectives à une loi effective, mais au niveau des virtualités de comportement qu’elles représentent
  « Toute la pénalité du xixe siècle devient un contrôle, non pas tant sur ce que font les individus – est-ce conforme ou non à la loi ? –, mais sur ce qu’ils peuvent faire, de ce qu’ils sont capables de faire, de ce qu’ils sont sujets à faire, de ce qu’ils sont dans l’imminence de faire.
Ainsi, la grande notion de la criminologie et de la pénalité, vers la fin du xixe siècle, a été la scandaleuse notion, en termes de théorie pénale, de dangerosité. La notion de dangerosité signifie que l’individu doit être considéré par la société au niveau de ses virtualités, et non pas au niveau de ses actes ; non pas au niveau des infractions effectives à une loi effective, mais au niveau des virtualités de comportement qu’elles représentent.
Le dernier point capital que la théorie pénale met en question plus fortement encore que Beccaria est que, pour assurer le contrôle des individus – ce qui n’est plus une réaction pénale à ce qu’ils ont fait, mais un contrôle de leur comportement au moment même où celui-ci s’ébauche –, l’institution pénale ne peut plus être entièrement dans les mains d’un pouvoir autonome, le pouvoir judiciaire.
On arrive ainsi à la contestation de la grande séparation attribuée à Montesquieu, ou du moins formulée par lui, entre pouvoir judiciaire, pouvoir exécutif et pouvoir législatif. Le contrôle des individus, cette espèce de contrôle pénal punitif des individus au niveau de leurs virtualités, ne peut pas être effectué par la justice elle-même, mais par une série d’autres pouvoirs latéraux, en marge de la justice, comme la police et tout un réseau d’institutions de surveillance et de correction : la police pour la surveillance, les institutions psychologiques, psychiatriques, criminologiques, médicales, pédagogiques pour la correction. C’est ainsi que, au xixe siècle, se développe autour de l’institution judiciaire, et pour lui permettre d’assumer la fonction de contrôle des individus au niveau de leur dangerosité, une gigantesque série d’institutions qui vont encadrer les individus au long de leur existence : institutions pédagogiques comme l’école ; psychologiques ou psychiatriques comme l’hôpital, l’asile, la police… Tout ce réseau d’un pouvoir qui n’est pas judiciaire doit remplir l’une des fonctions que la justice s’attribue à ce moment : non plus celle de punir les infractions des individus, mais celle de corriger leurs virtualités.
Nous entrons ainsi dans l’âge de ce que j’appellerais l’orthopédie sociale. Il s’agit d’une forme de pouvoir, d’un type de société que je désigne comme société disciplinaire par opposition aux sociétés proprement pénales que nous avions connues auparavant. C’est l’âge du contrôle social. Parmi les théoriciens que j’ai cités tout à l’heure, il y | a quelqu’un qui, d’une certaine façon, a prévu et présenté une sorte de schéma de cette société de surveillance, de la grande orthopédie sociale. Il s’agit de Bentham. Je demande des excuses aux historiens de la philosophie pour cette affirmation, mais je crois que Bentham est plus important pour notre société que Kant ou Hegel. On devrait lui rendre hommage dans chacune de nos sociétés. C’est lui qui a programmé, défini et décrit de la manière la plus précise les formes de pouvoir dans lesquelles nous vivons, et qui a présenté un merveilleux et célèbre petit modèle de cette société de l’orthopédie généralisée : le fameux panoptique. Une forme d’architecture qui permet un type de pouvoir de l’esprit sur l’esprit ; une espèce d’institution qui doit valoir pour les écoles, les hôpitaux, les prisons, les maisons de correction, les hospices, les usines. »
       
       

 

J. Bentham (1748-1832), Panoptique : mémoire sur un nouveau principe pour construire des maisons d’inspection, et nommément des maisons de force, Paris, Imprimerie nationale, 1791.
   
M. Foucault (1926-1984), « La vérité et les formes juridiques », Conférences à l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro, IVe conférence, 24 mai 1973 ; Gallimard, « Quarto » : Dits et écrits, t. i, 2001, p. 1461-1462.
   
   

En haut de page