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  Évasion  

       
       
Évasion, c’est du vocabulaire de prison ; il faut des détenus pour inventer, ou réinventer le passeport, faisant d’un droit une faveur…
 
« Barnabooth, par un jeu bizarre du destin, survivait à une Europe décédée ; il était, dans tous les sens du mot, une personne déplacée ; ancêtre des nouveaux Juifs errants ; il ne bougeait plus ; l’univers bougeait pour lui.
Barnabooth ne me sembla jamais tout à fait un dandy. Il me frappait par son poids, son équilibre, par la tranquille possession de ses biens et de sa personne ; il allait aux belles choses parce qu’étant belles, elles étaient bonnes. Ce n’est pas pour se fuir qu’il empruntait naguère des wagons-lits de velours turquoise ; un monde sans menaces ne connaissait pas le mot fuir. Évasion, c’est du vocabulaire de prison ; il faut des détenus pour inventer, ou réinventer le passeport, faisant d’un droit une faveur. Il n’est pas besoin de passeport pour voyager au pays de la Beauté ; quant à sa liberté, il l’avait conquise sur sa classe bourgeoise, sur sa province, sur sa patrie, à une époque où, ancien homme libre, Barrès nous faisait cadeau de frontières. »
       
Si le malheur de se connaître limité n’était réservé qu’aux individus les plus doués pour l’évasion ?
 
« La notion de liberté n’intervient qu’à partir d’un certain développement de l’esprit, comme si le malheur de se connaître limité n’était réservé qu’aux individus les plus doués pour l’évasion. »
       
Plusieurs voies s’offrent à l’évasion...
 
« La rue Marais est une prison : Shakespeare a répondu d’avance à Michel que le monde aussi en est une. Mais c’est déjà quelque chose que de changer de cachot. Quand on en est là, plusieurs voies s’offrent à l’évasion. L’une est la vie religieuse, mais le christianisme philistin de la famille fait précisément partie de ce que fuit Michel ; | il ne pensera à la Trappe, d’ailleurs assez peu sérieusement, que d’ici une trentaine d’années. L’Art, autant que possible avec une majuscule, est une autre issue, mais il ne se croit ni futur grand poète ni futur grand peintre. La voie la plus commode, à vue de nez du moins, est l’aventure ; elle viendra, mais la chiquenaude du hasard qui a cette date eût poussé Michel vers elle ne s’est pas produite : l’équipée d’Anvers l’a dégoûté d’aller tenter sa chance sur un cargo en partance pour les colonies. Quel élan ou quelle lubie l’a propulsé vers l’armée ? Peu de chose peut-être : un troupier flânant aux abords de la citadelle, des hommes passant sous ses fenêtres, musique en tête, comme du temps de la petite gouvernante anglaise ? En tout cas, ce que je sais de sa vie par la suite m’assure qu’une fois la décision prise il n’y a pas repensé deux fois. En janvier 1873, une lettre écrite d’un café parisien, sur le papier rayé et avec l’encre boueuse de l’établissement, apprit à Michel Charles et à Noémi, que leur fils s’était engagé. »
       
     
       
     
       
     
       
 
   
       
       
       
       
       
       
       
       
       

   
P. Morand (1888-1976), Monplaisir… en littérature (1967), « Salut à Barnabooth » ; Gallimard, « NRF », 1967, p. 231.
   
G. Perros (1923-1978), Papiers collés II (1973), « Notes » ; Gallimard, « L’imaginaire », 1989, p. 27.
   
M. Yourcenar (1903-1987), Le Labyrinthe du monde, II, Archives du Nord, iie partie, « Rue Marais », 1977 ; Gallimard, « Pléiade » : Essais et mémoires, 1991, p. 1100-1101.
   
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