Dernière édition MMIV Dé 21 - Minuit |
Le mot faute prend sa place dans le vocabulaire de la morale, discipline majeure… |
« Le mot faute prend sa place
dans le vocabulaire de la morale, discipline majeure ; le juriste,
lui aussi intéressé par ce terme (le manquement à la règle, qui cause
un tort à un autre individu), l’appelle alors un délit. Beccaria devait
d’ailleurs en fixer l’échelle, du plus léger au plus lourd, afin d’adapter
à cette infraction la peine correspondante et graduée ; est visée
ainsi la réparation. La gravité de la faute dépend surtout de l’intention avec laquelle elle a été commise : involontaire, elle n’entraîne que l’obligation du dédommagement (tant matériel que psychologique ; on appréciera aussi le prix de la douleur, en cas de blessure). Si l’action malfaisante a été délibérée – un mal s’ajoute au mal et le porte au deuxième degré : en plus du premier, comptons le psychisme vicié ; la punition devra frapper le coupable qui sera, en plus de la peine, tenu de réparer les dommages subis par la victime. La sanction consiste, en principe, en une privation de liberté. | Si la faute échappe au droit pénal, en raison de sa ténuité et parce qu’elle ne dérange pas l’ordre public, le châtiment seulement intérieur qui en découlera se nomme le remords, la tristesse à la suite de cette action qui, du fait de sa malignité, isole le coupable et le prive sans doute de la vie amicale et communicationnelle. Mais, qu’il s’agisse de la privation de la liberté (allant jusqu’à l’emprisonnement) ou plus simplement de l’expiation de la « mauvaise conscience » qui s’accuse, dans les deux cas, le coupable s’emploie à effacer le mal de la faute, mais, selon nous, il n’y parvient pas vraiment : le mal reste le mal. On tente de l’annuler mais il subsiste. Et d’ailleurs comment espérer « réparer », par exemple, la partie du corps blessée ? En principe, nous ajoutons au mal premier un autre mal qu’il faut supporter. C’est pourquoi nous apprécions cette institution remarquable de la société contemporaine qu’est la création de magistrats (les JAP, les juges chargés de l’application de la peine). En effet, ceux-ci sont susceptibles d’évaluer la possible réinsertion sociale du malfaiteur et, en fonction du changement, ils seront à même de diminuer la durée de la peine qui a perdu son sens ou de la suspendre. Nous savons aussi que l’enfermement prolongé risque de pervertir ceux qui subissent l’emprisonnement, raison de plus pour hâter la fin de cette sanction, si le prisonnier le mérite. De même, la conscience malheureuse, | à travers ses propres reproches et regrets, a suffisamment souffert ; elle doit retrouver la paix intérieure. L’épreuve de la faute et de la réparation a mobilisé la conscience et l’obligera ou devrait l’obliger à mieux respecter la loi qu’elle a transgressée. Felix culpa. La faute peut être vue positivement : à travers elle, le sujet se renouvelle et prend conscience de ce qu’il doit éviter. Dans ces conditions, la peine de mort en devient contradictoire et même barbare : elle supprime la possibilité de la rédemption (le rachat). De plus, loin d’intimider ou de terroriser les futurs délinquants, elle n’en raréfie pas le nombre. Ne croyons pas à sa prétendue valeur préventive ! Il n’est rien de pire que de s’enfermer ou d’être enfermé dans l’univers morbide de la faute, d’y macérer et de ne pas croire à la possibilité d’un retour à la sérénité. Quoi même de plus précieux qu’un bonheur qu’on a perdu mais qu’on retrouve ! » |
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F. Dagognet, 100 mots pour commencer à philosopher (2001), « Faute » ; Les empêcheurs de penser en rond – Seuil, 2001, p. 95-97. | |