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Dernière édition MMIV Dé 21 - Minuit  
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  Les malfaiteurs, toujours en association ou dangereux.
       
Ferais-je tort aux Américains, si je les déclarais descendus de malfaiteurs et de gens condamnés à la déportation ?
  Condamné pour un pamphlet, P.-L. Courier se vengea par un nouveau pamphlet, rédigé pour régler ses comptes avec les jurés, les magistrats et l’avocat général qui avaient concouru, peu ou prou, à sa condamnation.
      « Ce fut le 28 août dernier, au lieu ordinaire des séances de la cour d’assises, que, la cause appelée, comme on dit au barreau, l’accusé comparut. La salle était pleine. On jugea d’abord un jeune homme qui avait fait quelques sottises, à ce qu’il paraissait du moins, ayant perdu tout son argent dans une maison privilégiée du gouvernement, avec des femmes protégées, taxées par le gouvernement ; après quoi le gouvernement accusa Paul-Louis, vigneron, d’offense à la morale publique, pour avoir écrit un discours contre la débauche ; mais il faut conter tout par ordre. On lut l’acte d’accusation, puis le président prit la parole, et interrogea Paul-Louis.
Le Président : Votre nom ?
Courier : Paul-Louis Courier.
Le Président : Votre état ?
Courier : Vigneron.
Le Président : Votre âge ?
Courier : Quarante-neuf ans.
Le Président : Comment avez-vous pu dire que la noblesse ne devait sa grandeur et son illustration qu’à l’assassinat, la débauche, la prostitution ?
Courier : Voici ce que j’ai dit : Il n’y a pour les nobles qu’un moyen de fortune, et de même pour tous ceux qui ne veulent rien faire ; ce moyen, c’est la prostitution. La cour l’appelle galanterie. J’ai voulu me servir | du mot propre, et nommer la chose par son nom.
Le Président : Jamais le mot de galanterie n’a eu cette signification. Au reste, si l’histoire a fait quelques reproches à des familles nobles, ils peuvent également s’appliquer aux familles qui n’étaient pas nobles.
Courier : Qu’appelez-vous reproches, M. le Président ? Tous les Mémoires du temps vantent cette galanterie, et la noblesse en était fière comme de son plus beau privilège. La noblesse prétendait devoir seule fournir des maîtresses aux princes ; et quand Louis XV prit les siennes dans la roture, les femmes titrées se plaignirent.
Le Président : Jamais l’histoire n’a fait l’éloge de la prostitution.
Courier : De la galanterie, M. le Président, de la galanterie.
Le Président : Vous avez employé le mot de prostitution. Vous savez ce que vous dites ; vous êtes un homme instruit. On rend justice à vos talents, à vos rares connaissances.
Courier : J’ai employé ce mot, faute d’autre plus précis. Il en faudrait un autre ; car, à dire vrai, cette espèce de prostitution n’est pas celle des femmes publiques ; elle est différente, et infiniment pire.
Le Président : Comment la souscription pour S. A. R. Mgr le duc de Bordeaux ne vous a-t-elle inspiré que de pareilles idées ?
Courier : Dans ce que j’ai écrit, il n’y a rien contre la famille royale.
Le Président : Aussi n’est-ce pas de quoi l’on vous accusé ici.
Courier : C’est qu’on ne l’a pas pu, M. le Président. On eût bien voulu faire admettre cette accusation ; mais il n’y a pas eu moyen. On cherchait un délit plus grave ; on n’a trouvé que ce prétexte d’offense à la morale publique.
Le Président : Vous insultez une classe, une partie de la nation.
Courier : Je n’insulte personne. J’ai parlé des ancêtres de la noblesse actuelle, dans laquelle je connais de fort honnêtes gens qui ne vont point à la cour. J’en ai vu à l’armée faire comme les vilains, défendre leur pays. Serait-ce insulter les Romains, de dire que | leurs aïeux furent des voleurs, des brigands ? Ferais-je tort aux Américains, si je les déclarais descendus de malfaiteurs et de gens condamnés à la déportation ? J’ai voulu montrer l’origine des grandes fortunes dans la noblesse, et de la grande propriété. »
     
       
     
       
     
       
     
       
 
   
       
       

 

   
P.-L. Courier (1772-1825), Procès de Paul-Louis Courier (1821) ; Gallimard, « Pléiade » : Œuvres complètes, 1951, p. 93-95.
   

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