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Dernière édition MMIV Dé 21 - Minuit  
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Tous les lieux de rassemblement déçoivent : l’école, la prison, l’hôpital...
  « Tout se ligue contre le musée (un cimetière culturel, la maison du mort) : qui déjà ne sort « exténué » d’une visite aux collections ? La quantité asphyxie ; et chacun préférerait voir la statue dans sa niche ou ne regarder qu’un seul tableau (inépuisable de sens). Il semble que la génialité, l’originalité d’un maître s’efface à être situé à côté de ses proches ou entouré de ses disciples.
D’ailleurs, tous les lieux de rassemblement déçoivent : l’école, la prison, l’hôpital. Or, le musée ressemble aux trois en même temps : à l’école, en raison de son dessein pédagogique ou didactique, à la prison, du fait des barrières, des gardiens, des multiples interdits, à l’hôpital aussi, car les tableaux ont été restaurés, les épaves sauvées, les moindres objets redressés, tant l’usure et les manipulations ont pu les blesser.
Le musée ne peut éviter ni l’amoncellement, ni le déracinement, ni la rigidité organisationnelle. Mais le pire vient de ce que le musée a parfois écarté certains artistes ou les a méconnus. La | vitrine muséale privilégie alors les classiques, évinçant les marginaux. L’académisme triomphe, d’autant qu’il faut plaire aux visiteurs et favoriser les entrées, la vie du musée étant liée à un impératif commercial.
Toutefois, nous ne participerons pas à la curée : déjà, nous souhaitons que l’artiste fréquente le musée, ne serait-ce qu’afin de ne pas reprendre ce qui a déjà été exploré ; il assistera aussi au spectacle d’une inventivité toujours renouvelée.
Nous créditons le musée d’une triple victoire :
1. D’abord, il a recueilli la richesse culturelle qui, au départ, était réservée à quelques privilégiés ou à la royauté. La Révolution de 89 a rendu les chefs-d’œuvre accessibles à tous les citoyens.
2. Le musée ne se réduit pas aux beaux-arts : il n’a pas manqué de rassembler les traditions populaires, les principales découvertes, les techniques, les métiers (l’abbé Grégoire en tête de cette sorte de croisade en faveur de la mémoire objective).
3. Enfin, le musée ne se contente pas d’exposer ; la pratique muséale de l’inventaire (ainsi que des filiations) a directement conduit à l’invention. Ainsi le rassemblement d’innombrables échantillons, puis la construction de tableaux explicatifs, a servi, en premier lieu, les naturalistes qui ont distribué les pierres, les vestiges, les ossements, les végétaux, les animaux. À travers ce travail synoptisant, ils allaient atteindre à la structure des êtres.
À l’opposé du jugement commun, le musée a su se renouveler : ainsi, au lieu de tout nous offrir, il avantage les expositions thématiques (un seul artiste, ou encore ses esquisses avant le tableau définitif, ou un sujet). Par là, il évite le danger du tohu-bohu. Enfin, le musée a tenu à englober ce dont il s’était séparé, le milieu même (l’écomusée intègre la région, tout l’environnement, à l’intérieur duquel nous comprenons aussi bien le développement d’une industrie que le surgissement d’une sensibilité). Finalement bouge l’institution qu’on croyait vouée à la fixité, à l’enfermement et à la conservation. »
       
     
       
     
       
     
       
     
       
 
   
       
       

 

   
F. Dagognet, 100 mots pour commencer à philosopher (2001), « Musée » ; Les empêcheurs de penser en rond – Seuil, 2001, p. 176-178.
   

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