Dernière édition MMIV Dé 21 - Minuit |
Des délits
et des peines. Petite peine, longue peine. Quel est le sens de la peine ?
Remarquer que cette expression de sens de la peine a l’apparence
d’une petition de principe : on présuppose ce qu’il faudrait
d’abord construire pour être en mesure de prouver. Or, dans les
conditions actuelles de détention, il se pourrait que, pour plus
de 90 fois sur 100, la prison soit « peine perdue ». Aussi, pourquoi se donner de la peine ? Pour quoi ? |
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J’ai du chagrin, je suis dans la peine.
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« Un mot désuet. Je crois bien
ne l’avoir jamais entendu sortir de la bouche de mes patients. Trop imprégné
du temps de l’enfance ? On ne l’avouait pas alors, son chagrin, et
même on pouvait le nier quand notre mère, croyant nous deviner – elle
se trompait parfois et nous ne voulions pas être consolés de ce qui nous
appartenait en propre –, se penchait vers nous avec sollicitude :
« Oh, le gros chagrin ! » Qui ose aujourd’hui parler de chagrin d’amour ? Plutôt dire, pour atténuer le choc, « déception amoureuse » quand ce n’est pas, chez ceux qui croient que les mots de la psychanalyse vont plus profond, « angoisse de la séparation », « travail de deuil », « perte d’objet ». Si, pourtant, je l’ai entendu prononcer une fois, ce mot « chagrin », par un homme qui venait d’être chassé sans ménagement par sa compagne. Un vieil | homme. C’est peut-être pourquoi il n’avait pas honte de dire ce mot venu de l’enfance. Quand je lui demandai ce qui l’amenait à venir me voir, sa réponse fut : J’ai du chagrin, je suis dans la peine. Je n’ai pas oublié ce dans. En prison, avec pour unique compagnon de cellule son chagrin. Son chagrin d’enfant abandonné – qu’on ne compte pas sur lui pour gémir ! –, son chagrin de vieil homme qui redoute de voir sa vie se réduire comme une peau de chagrin et de mourir seul au monde. » |
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Il n’est que deux choses vraies : la religion avec l’intelligence, l’amour avec la jeunesse, c’est-à-dire l’avenir et le présent, – le reste n’en vaut pas la peine. |
« Je ne sache pas dans l’histoire une renommée qui me tente : fallût-il me baisser pour ramasser à mes pieds et à mon profit la plus grande gloire du monde, je ne m’en donnerais pas la fatigue. Si j’avais pétri mon limon, peut-être me fussé-je créé femme, en passion d’elles ; ou si je m’étais fait homme, je me serais octroyé d’abord la beauté ; ensuite, par précaution contre l’ennui, mon ennemi acharné, il m’eût assez convenu d’être un artiste supérieur, mais inconnu, et n’usant de mon talent qu’au bénéfice de ma solitude. Dans la vie pesée à son poids léger, aunée à sa courte mesure, dégagée de toute piperie, il n’est que deux choses vraies : la religion avec l’intelligence, l’amour avec la jeunesse, c’est-à-dire l’avenir et le présent : le reste n’en vaut pas la peine. » | ||
Se donner la peine ? |
« Trop haut pour les intrigues, la cupidité, les marchandages, les petits mensonges, l’hypocrisie. Refusant de s’en donner la peine. Mot profond dans Plutarque : les nobles Grecs se nomment : « Nous autres véridiques. » Pourquoi véridiques ? Parce qu’ils ne veulent pas se donner la peine… Honnêtes par dédain. » | ||
Bien souvent l’on perdait, à la chercher, sa peine... |
L’allégorie de la Discorde se trouve dans Homère et chez Hésiode, passe ensuite par Virgile, puis se retrouve chez l’Arioste. Si l’Arioste la loge chez les moines, au lieu du Silence, La Fontaine, pour sa part, préfère loger Discorde à « l’auberge de l’Hyménée ». |
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« La déesse Discorde ayant brouillé les
Dieux, Et fait un grand procès là-haut pour une pomme, On la fit déloger des Cieux. Chez l’Animal qu’on appelle Homme On la reçut à bras ouverts, Elle, et Que-si-que-non, son frère, Avecque Tien-et-mien son père. Elle nous fit l’honneur en ce bas univers De préférer notre hémisphère À celui des mortels qui nous sont opposés, Gens grossiers, peu civilisés, Et qui, se mariant sans prêtre et sans notaire, De la Discorde n’ont que faire. Pour la faire trouver aux lieux où le besoin Demandait qu’elle fût présente, La Renommée avait le soin De l’avertir ; et l’autre diligente Courait vite aux débats et prévenait la paix, Faisait d’une étincelle un feu long à s’éteindre. La Renommée enfin commença de se plaindre Que l’on ne lui trouvait jamais De demeure fixe et certaine. Bien souvent l’on perdait à la chercher sa peine. » |
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J.-B. Pontalis, Fenêtres, « Un gros chagrin », Gallimard, « NRF », 2000, p. 59-60. | |
Chateaubriand (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe, Ière partie, livre iv, « Mon père m’eût-il apprécié ? », Berlin, mars 1821 ; Le livre de Poche, « Classiques modernes – La Pochothèque », 1973, éd. Gengembre (1998), p. 116. | |
H. Montherlant (1895-1972), Carnets, xxviii, 1934-1935 ; Gallimard, « Pléiade » : Essais, 1963, p. 1150. | |
Homère (viiie s. a.c.), Iliade, IV, 440 ; id., ibid., V, 518. | |
Hésiode (viii-viie s. a.c.), Théogonie, v. 225-226 ; id., Les Travaux et les jours, v. 11 sq. | |
Virgile (~70-19 ?), Énéide, VIII, 702-703. | |
L’Arioste (1474-1533), Roland furieux, XIV, lxxvi-lxxxvi ; id., ibid., XVIII, xxvi-xxxvii. | |
J. La Fontaine (1621-1695), Fables choisies mises en vers, VI, xx : « La Discorde », v. 29 ; Gallimard, « Pléiade » : Œuvres complètes, t. I, 1991, p. 238. | |
J. La Fontaine (1621-1695), Fables choisies mises en vers, VI, xx, « La Discorde », v. 1-23 ; Gallimard, « Pléiade » : Œuvres complètes, t. I, 1991, p. 237. | |