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« – Une
dernière question pour conclure : peut-on imaginer une société
sans prisons ?
– La réponse est facile : il y a eu, en effet, des sociétés
sans prisons ; il n’y a pas si longtemps. Comme punition, la prison
est une invention du début du xixe
siècle. Si vous regardez les textes des premiers pénalistes du xixe siècle, vous constaterez
qu’ils commencent toujours leur chapitre sur les prisons en disant :
« La prison est une peine nouvelle qui était encore inconnue au
siècle dernier. » Et le président de l’un des premiers congrès
pénitentiaires internationaux, congrès qui, si ma mémoire est bonne,
eut lieu à Bruxelles, en 1847, disait : « Je suis bien vieux
et je me souviens encore du temps où l’on ne punissait pas les gens
par la prison, mais où l’Europe était couverte de gibets, de carcans
et d’échafauds divers, où l’on voyait des gens mutilés qui avaient perdu
une oreille, deux pouces ou un œil. C’étaient ça les condamnés. »
Il évoquait ce paysage, à la fois visible et bariolé de la punition,
et il ajouta : « Maintenant, tout cela est enfermé derrière
les murs monotones de la prison. » Les gens de cette époque ont
eu parfaitement conscience qu’une peine absolument nouvelle était née.
Vous voulez me faire décrire une société utopique où il n’y aurait pas
de prison. Le problème est de savoir si l’on peut imaginer une société
dans laquelle l’application des règles serait contrôlée par les groupes
eux-mêmes. C’est toute la question du pouvoir politique, le problème
de la hiérarchie, de l’autorité, de l’État et des appareils d’État.
C’est seulement quand on aura débroussaillé cette immense question que
finalement on pourra dire : oui, on doit pouvoir punir de cette
manière, ou il est tout à fait inutile de punir, ou encore, à cette
conduite irrégulière, la société doit donner telle réponse. »
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