Dernière édition MMIV Dé 21 - Minuit |
Quelle est l’utilité de la prison ? | |||
De l’inutilité des prisons. |
« Manoll :
– Ce n’est pas pour rien que vous avez donné pour titre à l’un de vos
ouvrages : La Vie dangereuse. Cendrars : – Oui, cinquante ans plus tard. Mais ce n’est pas ma vie. Je crois que c’est un des rares bouquins où je parle très peu de moi. Manoll : – Vous dites cependant dans ce livre que ce qu’il y a de plus contraire à votre tempérament, c’est le fait d’écrire. | Cendrars : – Bien sûr. J’ai pris le goût du grand air, des voyages. Je n’aime pas beaucoup rester enfermé. Manoll : – Vous avez écrit aussi dans un Éloge de la vie dangereuse, une phrase qui me semble résumer parfaitement votre comportement : « La vie est dangereuse et celui qui agit doit aller jusqu’au bout de son acte, sans se plaindre. » Cendrars : – C’est la vérité. Mais ce n’est pas moi qui ai dit cela, je rapporte fidèlement la déclaration que m’a faite un prisonnier un jour que je visitais une prison du Brésil, à l’intérieur du Brésil, exactement à Tiradentes, la ville de l’arracheur de dents. Manoll : – Fébronio ? Cendrars : – Ah ! non, pas Fébronio. Indio Fébronio do Brazil est un nègre enfermé à vie au manicomio de Rio, car le Brésil ne connaît pas la peine de mort. Celui dont je rapporte la phrase était un Blanc. C’était un Brésilien-Hollandais, un chef de gare, qui avait ouvert la poitrine de son rival d’un coup de couteau pour lui arracher le cœur et le dévorer cru, à pleines dents. C’est pourquoi il dit qu’il faut aller jusqu’au bout de son acte sans se plaindre. Lui ne se plaignait pas. Il y avait déjà vingt-cinq ans qu’il était enfermé quand je suis venu le voir et que je lui ai demandé : « Dites, si l’on vous relâchait aujourd’hui, est-ce que vous recommenceriez ? – Je recommencerais ! » m’a-t-il répondu avec un sourire de délectation morose. Jusqu’à ce jour, je croyais que les prisons servaient à quelque chose ; par cette réponse la preuve est faite qu’elles ne servent à rien du tout, on peut donc les démolir tranquillement. Il n’y a que l’âme de l’homme qui compte. Les murs et les fers sont de la frime. » |
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B. Cendrars (1887-1961), Blaise Cendrars vous parle… (1950), « Entretien premier », propos recueillis par Michel Manoll, montage par Albert Riéra ; Denoël : œuvres complètes, t. viii, 1964, p. 543-544. | |