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  Classifier  

 
 
     
 
 
     
La société disciplinaire n’a pas besoin de résoudre les problèmes mais de classifier : lorsque la société disciplinaire pose l’étiquette « chômage », elle crée une distance ; la question du chômage comme catégorie sociologique ne me regarde pas ; je n’en suis qu’un spectateur, content ou contestataire, mais extérieur…
  « La société disciplinaire n’a pas besoin de résoudre les problèmes mais de classifier. Elle utilise pour cela de multiples étiquettes qui font disparaître des centaines de personnes. Si mon frère se trouve sans emploi, cela me touche dans mon quotidien. Je suis sensible à toutes les difficultés qu’il rencontre : la déprime, la remise en cause de lui-même, l’organisation de chacune de ses journées… Lorsque la société disciplinaire pose l’étiquette « chômage », elle crée une distance. La question du chômage comme catégorie sociologique ne me regarde pas. Je n’en suis qu’un spectateur, content ou contestataire mais extérieur. L’étiquette uniformise cette population et l’éloigne irréductiblement. Si je suis moi-même chômeur, je vis cet éloignement par rapport à moi-même. Un chômeur n’a jamais de temps libre car, durant les heures où il devrait se socialiser, il n’expérimente que le vide. Sa vie est une privation permanente. L’invalidation sociale est si forte qu’elle ne lui donne pas la possibilité de faire autre chose.
Cet exemple nous révèle la fonction des étiquettes : éloigner des populations, désubstantialiser des situations concrètes. La seule attitude subversive réside dans le rejet de cet étiquetage. Il existe des problèmes d’exploitation, d’utilisation de la main-d’œuvre mais il n’y a pas de « chômeurs » . Cette étiquette nous condamne à une division de la vie qui nous place immédiatement les uns contre les autres et ne correspond pas à la réalité : un être humain peut ne pas travailler et ne pas être au chômage. L’engagement | commence par le refus de penser la société dans les mêmes termes que l’idéologie disciplinaire. Il ne s’agit pas de nier la réalité de ceux qui n’ont plus de travail salarié, de cette main-d’œuvre victime de la brutalité du néolibéralisme. Mais il faut refuser les étiquettes qui viennent estomper la réalité complexes de leur vie. Le chômage définit une population par défaut, qui va confirmer cette étiquette par l’intégration de cette idée. Pour un chômeur victime de l’étiquetage social, tout est vide. Pour celui qui utilise son temps pour vivre, tout est plus complexe. Les militants de l’APEIS assument cette tension : ils résistent en tant que chômeurs et se proclament dans le même temps acteurs sociaux. Toute la difficulté consiste à lutter depuis l’étiquette tout en mettant en avant d’autres dimensions. Le même raisonnement peut être tenu à propos des SDF. Si mon ami est dans la rue, cela entre dans mon quotidien. Si je connais les quinze personnes qui n’ont pas de domicile dans mon quartier, cela me regarde. L’étiquette « SDF » me permet en revanche de virtualiser l’autre immédiatement, le « SDF » est un problème de société qui me concerne seulement au moment du vote. Les étiquettes regardent les citoyens tous les cinq ans. »
 
 
 
     
 
     
 
 
     
 
     
 
 
     
 
     
 
 
     
 
     
 
 
     
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     

   
M. Benasayag, Abécédaire de l’engagement, « Chômage » ; Bayard, 2004, p. 67-68.
   
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