Dernière édition MMIV Noûs 11 - Minuit |
En affaire, comme en amour, il
faut savoir conclure, à la rigueur, mais sans hâte,
ni précipitation. (L’une et l’autre vous perdront.) On cherche la solution dun problème, pour la trouver ou linventer : voilà le marché conclu. Lidéal serait dapporter une solution concluante à chaque problème, comme on conclut la paix, un raisonnement ou un modus vivendi. On aurait vraiment beau jeu de conclure, mais le peut-on ? N’est-ce pas un point de vue étroitement épicier ? |
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Que conclure de ce qui précède ? Attention ! Ne pas céder à la tentation des généralisations prématurées ! Ne pas sortir du sujet. Mais, encore une fois, que conclure ? |
« Que conclure de ce qui précède ?
Attention ! Ne pas céder à la tentation des généralisations prématurées !
Ne pas sortir du sujet. Rester dans l’observé. Multiplier les expériences,
même au sein de sa propre famille ! Regarder du coin de l’œil ma
femme, mon fils à table. Provoquer les réactions, feindre la colère,
l’ennui, le soupçon sarcastique, la confiance béate… |
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L’ineptie consiste à vouloir conclure. Quel est l’esprit un peu fort qui ait conclu, à commencer par Homère ? |
« J’ai lu à Jérusalem un livre socialiste
(Essai de philosophie positive, par Aug[uste]
Comte). Il m’a été prêté par un catholique enragé, qui a voulu à toute
force me le faire lire afin que je visse combien… etc. J’en ai feuilleté
quelques pages : c’est assommant de bêtise. Je ne m’étais du reste
pas trompé. Il y a là dedans des mines de comique immenses, des Californies
de grotesque. Il y a peut-être autre chose aussi. Ça se peut. Une des
premières études auxquelles je me livrerai à mon retour sera certainement
celle de toutes « ces déplorables utopies qui agitent notre société
et menacent de la couvrir de ruines ». Pourquoi ne pas s’arranger
de l’objectif qui nous est soumis ? Il en vaut un autre. À prendre
les choses impartialement, il y en a eu peu de plus fertiles. L’ineptie
consiste à vouloir conclure. Nous nous disons : mais
notre base n’est pas fixe ; qui aura raison des deux ? Je
vois un passé en ruines et un avenir en germe ; l’un est trop vieux,
l’autre est trop jeune, tout est brouillé. Mais c’est ne pas comprendre
le crépuscule, c’est ne vouloir que midi ou minuit. Que nous importe
la mine qu’aura demain ? Nous voyons celle que porte Aujourd’hui.
Elle grimace bougrement et par là rentre mieux dans le Romantisme. | |
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Aucun grand génie na conclu et aucun grand livre ne conclut, parce que lhumanité elle-même est toujours en marche et quelle ne conclut pas : Homère ne conclut pas, ni Shakespeare, ni Gthe, ni la Bible elle-même... |
« Les gens légers, bornés,
les esprits présomptueux et enthousiastes veulent en toute chose
une conclusion ; ils cherchent le but de la vie et la dimension
de linfini. Ils prennent dans leur pauvre petite main une poignée
de sable et ils disent à lOcéan : Je vais compter
les grains de tes rivages. Mais comme les grains leur coulent entre
les doigts, et que le calcul est long, ils trépignent et ils
pleurent. Savez-vous ce quil faut faire sur la grève ?
Il faut sagenouiller ou se promener. Promenez-vous. |
J. Tardieu (1903-1995), Un mot pour un autre (1951), « Le Professeur Frœppel », i : « Dernières notes du journal intime », 30 avril… ; Gallimard, « Quarto » : Œuvres, 2003, p. 374. | |
G. Flaubert (1821-1880), Lettre, à Louis Bouilhet, Damas, 4 septembre 1850 ; Gallimard, « Pléiade » : Correspondance, t. i, 1973, p. 679-680. | |
G. Flaubert (1821-1880), Lettre, à Melle Leroyer de Chantepie, Croisset, 18 mai 1857 ; Gallimard, « Pléiade » : Correspondance, t. II, 1980, p. 718. | |