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Dernière édition MMIV Dé 21 - Minuit
Essentiel
       
 

Qu’est-ce qui est essentiel ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ?
Ne manquez pas l’essentiel ! Ne pas omettre ni passer l’essentiel sous silence. Et surtout ne pas négliger l’essentiel.
Et positivement, évidemment, se rendre à l’essentiel.
Voilà le point essentiel.

       
Le cycle bas de l'essentiel.
  « L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant. Cycle bas. »
       
Ce qui détourne des problèmes essentiels.
  « Principal mal de la science : détourner des problèmes essentiels, en promettant on ne sait quelle solution d’on ne sait quoi. »
       
Sur toutes les questions, – importantes ou pas, –  qu’est-ce qui l’essentiel ?
  « Sur toutes les questions sans importance, l’essentiel c’est le style, non la sincérité. Sur toutes les questions importantes, l’essentiel c’est le style, non la sincérité. »
       
La question essentielle ou, comme Bergson dira plus tard : le problème essentiel de la métaphysique.
  « Il y a donc le problème du temps. Peut-être ce problème est-il insoluble, voyons toutefois les solutions qu’on en a données. La plus ancienne remonte à Platon, puis nous avons celle de Plotin et enfin celle de saint Augustin. C’est celle qui se réfère à l’une des plus belles inventions de l’homme. Car je prétends qu’il s’agit là d’une invention humaine. Vous penserez peut-être différemment si vous êtes croyants. Moi, je dis : “Quelle belle invention que l’éternité.” Qu’est-ce que l’éternité ? Ce n’est pas la somme de tous nos hiers. C’est tous nos hiers, tous les hiers de tous les êtres conscients. Tout le passé, | ce passé dont on ne sait quand il a commencé. Puis aussi tout le présent. Ce moment présent qui englobe toutes les villes, tous les mondes, tout l’espace entre les planètes. Puis enfin l’avenir. L’avenir qui ne s’est pas encore réalisé mais qui, néanmoins, existe.
Les théologiens supposent que l’éternité est en quelque sorte un instant dans lequel se rejoignent miraculeusement ces divers temps. Nous pouvons reprendre les mots de Plotin, qui ressentit profondément le problème du temps. Plotin dit : il y a trois temps et tous les trois sont le présent. L’un est le présent actuel, le moment où je parle. C’est-à-dire le moment où j’ai parlé car ce moment appartient déjà au passé. Puis nous en avons un autre, qui est le présent du passé, qu’on appelle la mémoire. Puis un troisième, le présent de l’avenir qui est en quelque sorte ce qu’imagine notre espérance ou notre peur.
Venons-en maintenant à la solution que donna pour la première fois Plotin, solution qui semble arbitraire mais qui pourtant ne l’est pas, comme j’espère vous le prouver. Platon a dit que le temps est l’image en mouvement de l’éternité. Le temps commence par de l’éternité, par un être éternel, et cet être éternel veut se projeter en d’autres êtres. Or il ne peut le faire dans son éternité : il doit le faire dans la succession. Le temps est en quelque sorte l’image en mouvement de l’éternité. Le grand mystique anglais William Blake nous dit : Le temps est un don de l’éternité. Si on nous donnait la totalité de l’être… L’être est plus que l’univers, plus que le monde. Si on nous montrait une seule fois la totalité de l’être nous serions écrasés, anéantis, morts. Le temps, en revanche, est un don de l’éternité. L’éternité nous permet toutes ces expériences dans la succession. Nous avons les jours et les nuits, nous avons les heures, les minutes, nous avons la mémoire, les sensations du présent, puis nous avons l’avenir, l’avenir dont nous ignorons encore ce qu’il sera mais que nous pressentons ou craignons.
Tout cela nous est donné successivement car nous ne pourrions supporter l’intolérable poids, l’intolérable impact de tout l’être de l’univers. Le temps serait donc un don de l’éternité. L’éternité nous permet de vivre dans la succession. Schopenhauer a dit qu’heureusement pour nous notre existence se divise en jours et en nuits, notre existence est interrompue par le sommeil. Nous nous levons le matin, nous passons la journée puis nous dormons. S’il n’y avait pas le sommeil, il serait intolérable de vivre, nous ne serions pas maîtres de nos plaisirs. Nous ne pouvons pas assumer la totalité de l’être. Aussi tout nous est-il donné, mais graduellement. |
La métempsycose répond à une idée voisine. Peut-être serions nous à la fois, comme le croient les panthéistes, tous les minéraux, tous les végétaux, tous les animaux, tous les hommes. Mais heureusement, nous ne le savons pas. Heureusement, nous croyons à l’individu. Sinon, nous serions accablés, nous serions anéantis par cette plénitude.
J’en arrive maintenant à saint Augustin. Personne, je crois, n’a senti avec plus d’intensité que lui le problème du temps, cette mise en question du temps. Saint Augustin dit que son âme brûle, qu’il brûle de savoir ce qu’est le temps. Et il demande à Dieu de lui révéler ce qu’est le temps. Non pas par vaine curiosité, mais parce qu’il ne peut pas vivre sans le savoir. C’est en quelque sorte la question essentielle ou, comme Bergson dira plus tard : le problème essentiel de la métaphysique. Saint Augustin exprime tout cela avec fougue. »
       
J’estime avoir résolu définitivement les problèmes, pour ce qui est de l’essentiel
  « Si ce travail a une valeur, elle consiste en deux choses. Tout d’abord dans le fait que des pensées y sont exprimées ; et cette valeur sera d’autant plus grande que les pensées s’y trouveront mieux exprimées, et qu’elles auront frappé plus juste. Ici j’ai | conscience d’être resté bien en-deçà des possibilités. Simplement parce que mes forces n’ont pu venir à bout de la tâche. Puissent d’autres s’y mettre, et faire mieux.
En revanche, la vérité des pensées communiquées ici me paraît intangible et définitive. J’estime donc avoir résolu définitivement les problèmes, pour ce qui est de l’essentiel. Et si je ne fais erreur en cela, alors en second lieu la valeur de ce travail sera d’avoir montré combien peu a été accompli quand ces problèmes ont été résolus. »
       
     
       
 
   
       
       

 

   
R. Char (1907-1988), Recherche de la base et du sommet (1971), iv, « À une sérénité crispée », 1952 ; Gallimard, « Pléiade » : Œuvres complètes, 1983, p. 752.
   
L. Tolstoï (1828-1910), Journal, avril 1905 ; Gallimard, « Pléiade » : Journaux et carnets, t. iii, 1985, p. 23.
   
O. Wilde (1854-1900), Formules et maximes à l’usage des jeunes gens, 1894 ; Gallimard, « Pléiade », 1996, p. 969.
   
J. L. Borges (1899-1986), En marge de “Sept nuits”, « Le Temps », 1979 ; Gallimard, « Pléiade » : Œuvres complètes, t. ii, 1999, p. 773-775.
   
L. Wittgenstein (1889-1951), Tractatus logico-philosophicus (1921), « Préface », Vienne, 1918 : Wenn diese Arbeit einen Wert hat, so besteht er in Zweierlei. Erstens darin, daß in ihr Gedanken ausgedrückt sind, und dieser Wert wird umso größer sein, je besser die Gedanken ausgedrückt sind. – Hier bin ich mir bewußt, weit hinter dem Möglichen zurückgeblieben zu sein. Einfach darum, weil meine Kraft zur Bewältigung der Aufgabe zu gering ist. – Mögen andere kommen und es besser machen. / Dagegen scheint mir die Wahrheit der hier mitgeteilten Gedanken unantastbar und definitiv. Ich bin also der Meinung, die Probleme im Wesentlichen endgültig gelöst zu haben. Und wenn ich mich hierin nicht irre, so besteht nun der Wert dieser Arbeit zweitens darin, daß sie zeigt, wie wenig damit getan ist, daß die Probleme gelöst sind. – Gallimard, « Tel », no 109, 1998, p. 27-28.
   
 
   
   
   
   
   

 

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