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« Les gens légers, bornés,
les esprits présomptueux et enthousiastes veulent en toute chose
une conclusion ; ils cherchent le but de la vie et la dimension
de l'infini. Ils prennent dans leur pauvre petite main une poignée
de sable et ils disent à l'Océan : Je vais compter
les grains de tes rivages. Mais comme les grains leur coulent entre
les doigts, et que le calcul est long, ils trépignent et ils
pleurent. Savez-vous ce qu'il faut faire sur la grève ?
Il faut s'agenouiller ou se promener. Promenez-vous.
Aucun grand génie n'a conclu et aucun grand livre ne conclut,
parce que l'humanité elle-même est toujours en marche et
qu'elle ne conclut pas. Homère ne conclut pas, ni Shakespeare,
ni Gthe, ni la Bible elle-même. Aussi ce mot fort à
la mode, le " Problème social ", me révolte
profondément. Le jour où il sera trouvé, ce sera
le dernier de la planète. La vie est un éternel problème,
et l'histoire aussi, et tout. Il s'ajoute sans cesse des chiffres à
l'addition. D'une roue qui tourne, comment pouvez-vous compter les rayons ?
Le XIXe siècle, dans son orgueil d'affranchi, s'imagine avoir
découvert le soleil. On dit par exemple que la Réforme
a été la préparation de la Révolution française.
Cela serait vrai si tout devait en rester là, mais cette Révolution
est elle-même la préparation d'un autre état. Et
ainsi de suite, ainsi de suite. Nos idées les plus avancées
sembleront bien ridicules et bien arriérées quand on les
regardera par-dessus l'épaule. Je parie que dans cinquante ans
seulement, les mots : " Problème social ",
" moralisation des masses ", " progrès
et démocratie " seront passés à l'état
de " rengaine " et apparaîtront aussi grotesques
que ceux de : " Sensibilité ", " nature ",
" préjugés " et " doux liens
du cur " si fort à la mode vers la fin du XVIIIe
siècle. »
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