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  Histoire  

         
         
Il y a souvent dans l’histoire des problèmes bien difficiles à résoudre
 

« Le grand objet est de donner une idée précise et imposante de tous les établissements faits par Pierre Ier, et des obstacles qu’il a surmontés, car il n’y a jamais eu de grandes choses sans de grandes difficultés.
J’avoue que je ne vois dans sa guerre contre Charles XII d’autre cause que celle de la convenance, et que je ne conçois pas pourquoi il voulait attaquer la Suède vers la mer Baltique, dans le temps que son premier dessein était de s’établir sur la Mer Noire. Il y a souvent dans l’histoire des problèmes bien difficiles à résoudre. »

 
         
L’histoire aussi est un éternel problème
  « Aucun grand génie n’a conclu et aucun grand livre ne conclut, parce que l’humanité elle-même est toujours en marche et qu’elle ne conclut pas. Homère ne conclut pas, ni Shakespeare, ni Gœthe, ni la Bible elle-même. Aussi ce mot fort à la mode, le Problème social, me révolte profondément. Le jour où il sera trouvé, ce sera le dernier de la planète. La vie est un éternel problème, et l’histoire aussi, et tout. Il s’ajoute sans cesse des chiffres à l’addition. D’une roue qui tourne, comment pouvez-vous compter les rayons ? Le xixe siècle, dans son orgueil d’affranchi, s’imagine avoir découvert le soleil. On dit par exemple que la Réforme a été la préparation de la Révolution française. Cela serait vrai si tout devait en rester là, mais cette Révolution est elle-même la préparation d’un autre état. Et ainsi de suite, ainsi de suite. Nos idées les plus avancées sembleront bien ridicules et bien arriérées quand on les regardera par-dessus l’épaule. Je parie que dans cinquante ans seulement, les mots : « Problème social », « moralisation des masses », « progrès et démocratie » seront passés à l’état de « rengaine » et apparaîtront aussi grotesques que ceux de : « Sensibilité », « nature », « préjugés » et « doux liens du cœur » si fort à la mode vers la fin du xviiie siècle. »  
         
On ne peut s’improviser historien, pas plus qu’on ne s’improvisait orateur : il faut savoir quelles questions se poser, savoir aussi quelles problématiques sont dépassées
  « Quand l’histoire aura fini de s’arracher à l’optique des sources, quand le souci d’expliciter tout ce dont elle parle (« qu’était-ce donc qu’un favori ? ») sera passé chez elle à l’état de réflexe, les manuels d’histoire seront très différents de ce qu’ils sont aujourd’hui : ils décriront longuement les « structures » de telle ou telle monarchie d’Ancien Régime, diront ce qu’était un favori, pourquoi et comment on faisait la guerre, et ils passeront très rapidement sur le détail des guerres de Louis XIV et sur la chute des favoris du jeune Louis XIII. Car, si l’histoire est lutte pour la vérité, elle est également une lutte contre notre tendance à considérer que tout va de soi. Le site de cette lutte est la topique ; les répertoires de lieux s’enrichissent et se perfectionnent au fil des générations d’historiens et c’est pourquoi on ne peut s’improviser historien, pas plus qu’on ne s’improvisait orateur : il faut savoir quelles questions se poser, savoir aussi quelles problématiques sont dépassées ; on n’écrit pas l’histoire politique, sociale ou religieuse avec les opinions respectables, réalistes ou avancées qu’on a sur ces matières à titre privé. Il y a des vieilleries qu’il faut mettre au rancart, comme la psychologie des peuples et l’invocation au génie national ; il y a surtout une foule d’idées à acquérir ; écrire l’histoire d’une civilisation antique ne se fait pas à l’aide de la seule culture humaniste. Si l’histoire n’a pas de méthode (et c’est pourquoi on peut s’improviser historien), elle a une topique (et c’est pourquoi il vaut mieux ne pas s’improviser historien). Le danger de l’histoire est qu’elle paraît facile et ne l’est pas. Personne ne s’avise de s’improviser physicien parce que chacun sait qu’il faut pour cela une formation mathématique ; pour être moins spectaculaire, la nécessité d’une expérience historique n’est pas moins grande pour un historien. Seulement, en cas d’insuffisance de ce côté-là, les conséquences en seront plus sournoises : elles ne se produiront pas selon la loi de tout ou rien ; le livre d’histoire aura des taches (concepts inconsciemment anachroniques, nœuds d’abstractions non monnayées, résidus événementiels non analysés), mais surtout des manques : il péchera moins par ce qu’il affirme que par ce qu’il n’a pas pensé à se demander. Car la difficulté de l’historiographie est moins de trouver des réponses que de trouver des questions ; le physicien est comme Œdipe : c’est le sphinx qui interroge, lui il doit donner la bonne réponse ; l’historien est comme Perceval : le Graal | est là, devant lui, sous ses yeux, mais ne sera à lui que s’il pense à poser la question. »  
         
       
         
       
         
       
         
         
         
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     

   
Voltaire (1694-1778), Lettre, no 5173, à Ivan Ivanovitch Shuvalov, à Schwessingen, maison de plaisance de Monseigneur l’Électeur palatin, 17 juillet 1758 ; Gallimard, « Pléiade » : Correspondance, t. V, 1980, p. 174.
   
G. Flaubert (1821-1880), Lettre, à Melle Leroyer de Chantepie, Croisset, 18 mai 1857 ; Gallimard, « Pléiade » : Correspondance, t. ii, 1980, p. 718.
   
P. Veyne (1930), Comment on écrit l’histoire (1971), IIIe partie : « Le progrès de l’histoire », chap. x : « L’allongement du questionnaire », “Lutte contre l’optique des sources” ; Seuil, « Points – Histoire », H226, “Texte intégral”, p. 296-297.
   
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