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Dernière édition MMIV Dé 21 - Minuit
Mathématique
       
 

 

       
La quadrature du cercle est l’un des problèmes mythiques les plus anciens : construire, à la règle et au compas, un carré de même périmètre qu’un cercle donné…
  « Une question mathématique ordinaire disparaît dès qu’elle est résolue. L’intérêt des problèmes mythiques, c’est qu’ils continuent de faire gamberger les chercheurs longtemps après qu’ils ont trouvé une solution. Avec la trisection de l’angle et la duplication du cube, la quadrature du cercle est l’un des plus anciens : construire, à la règle et au compas, un carré de même périmètre qu’un cercle donné.
La prouesse, on le sait depuis 1766, est impossible puisque pi, rapport du périmètre du cercle au diamètre, est un nombre irrationnel. Le nombre de quadrateurs, lui, est tout à fait déraisonnable. En 1754, Jean Étienne Montucla publiait une Histoire des recherches sur la quadrature du cercle et un autre historien, André Callamel, écrivait en 1843 : « (…) l’histoire complète de la folie des quadrateurs du cercle serait aussi l’histoire la plus singulière des bigarrures de l’esprit humain. L’on y verrait savants et ignorants, spirituels et idiots, hommes sensés et maniaques, occupés avec une égale ardeur de la solution du problème. »
Entre-temps, l’Académie des sciences de Paris, en 1775, décidait de ne plus examiner l’abondante correspondance reçue sur le sujet. L’espoir de pousser un Eurêka inattendu est cependant si fort que les efforts quadrateurs persistent de nos jours, sur un fonds mythologique qui englobe aussi les mystères géométriques du nombre d’or ou ceux, plus mécaniques, du mouvement perpétuel. »
       
Problèmes plaisants et délectables en mathématique.
  Les Problèmes plaisants et délectables de Claude-Gaspar Bachet (1581-1638), sieur de Méziriac, parurent pour la première fois à Lyon en 1612 et furent réimprimés en 1624 avec de nombreuses augmentations.
  Encore que ce ne soient que des jeux, dont le but principal est de donner une honnête récréation, et d’entretenir avec leur gentillesse une compagnie, il faut bien de la subtilité d’esprit pour les pratiquer parfaitement…   « Je ne crois pas que ceux qui auront pénétré dans ce livre plus avant que l’écorce le jugent de si peu de valeur que feront ceux-là qui n’en auront lu que le titre : car encore que ce ne soient que des jeux, dont le but principal est de donner une honnête récréation, et d’entretenir avec leur gentillesse une compagnie, si est-ce qu’il faut bien de la subtilité d’esprit pour les pratiquer parfaitement, et faut être plus que médiocrement expert en la science des nombres pour bien entendre les démonstrations et pour se savoir aider de plusieurs belles inventions que j’ai ajoutées. Finalement pour, preuver encore que ce livre n’est point du tout inutile, et que la connaissance de ces problèmes peut servir grandement en quelque occasion, je ne veux employer que le témoignage d’Hégésippus au troisième livre de la prise de Jérusalem. Là il rapporte la mémorable histoire de Josèphe, ce fameux auteur qui nous a laissé par écrit la même guerre des Juifs, lequel était gouverneur dans la ville de Iotapata, lorsqu’elle fut assiégée et peu après emportée d’assaut par Vespasian. Il fut contraint de se retirer dans une citerne, suivi d’une troupe de soldats, pour éviter la première fureur des armes victorieuses des Romains ; mais il courut plus de fortune de perdre la vie parmi les siens que parmi les ennemis : car comme il eut arrêté de s’aller rendre à la merci du vainqueur, ne pouvant imaginer aucun autre moyen de se garantir de la mort, il treuva ses soldats saisis d’une telle frénésie qu’ils voulaient tous mourir et s’entre-tuer les uns les autres plutôt que de | prendre ce parti. Josèphe s’efforça bien de les détourner d’une si malheureuse entreprise, mais ce fut en vain ; car rejetant tout ce qu’il put leur alléguer au contraire, et persistant en leur opinion, ils en vinrent jusque-là que de le menacer, s’il ne s’y portait volontairement, de l’y contraindre par force, et de commencer par lui-même l’exécution de leur tragique dessein. Alors sans doute c’était fait de sa vie s’il n’eût eu l’esprit de se défaire de ces hommes furieux par l’artifice de mon xxiiiième problème. Car feignant d’adhérer à leur volonté, il se conserva l’autorité qu’il avait sur eux, et par ce moyen leur persuada facilement que pour éviter le désordre et la confusion qui pourraient survenir en tel acte, s’ils s’entre-tuaient à la foule, il valait mieux se ranger par ordre en quelque façon, et, commençant à compter par un bout, massacrer toujours le tantième (l’auteur n’exprime pas le quantième), jusqu’à ce qu’il n’en demeurât qu’un seul, lequel serait obligé de se tuer soi-même. Tous étant de cet accord, Josèphe les disposa de sorte, et choisit pour lui une si bonne place, que la tuerie étant continuée jusqu’à la fin, il se trouva seul en vie, ou peut-être encore qu’il sauva quelques-uns de ses plus affidés, et de ceux desquels il se pouvait promettre une entière et parfaite obéissance [note de A. Labosne, 1876 : Josèphe, qui raconte fort longuement l’histoire de la caverne, termine en disant : Or il advint, plus par providence de Dieu que par fortune, que Josèphe demeura le dernier avec un autre.]. Voilà une histoire bien remarquable, et qui nous apprend assez qu’on ne doit point mépriser ces petites subtilités, qui aiguisent l’esprit, habilitent l’homme à de plus grandes choses, et apportent quelquefois une utilité non prévue.
Reste que j’avertisse le lecteur que cette seconde édition est beaucoup plus accomplie que la première : car outre qu’elle est | plus correcte, elle est augmentée de plusieurs problèmes, et de la démonstration parfaite du problème qui était le cinquième en la première édition et qui est le sixième en cette-ci. À cet effet, j’ai tiré une dizaine de propositions de mes Éléments arithmétiques pour les rapporter ici, considérant que je ne pouvais pas si promptement mettre en lumière ce livre-là des Éléments, et que néanmoins je ne devais pas souffrir que ce petit ouvrage demeurât si longtemps imparfait.
Quant à ce qui est requis pour la parfaite intelligence et pour la pratique de ces problèmes, je puis assurer que tout homme de bon esprit en pourra comprendre et pratiquer la plus grande part. Il est vrai qu’il y en a quelques-uns qui ne pourront parfaitement être mis en pratique que par ceux qui savent les premières règles de l’arithmétique. Pour les démonstrations, elles sont pour les plus doctes, car elles supposent la connaissance du septième, huitième et neuvième livre d’Euclide, et encore quelques propositions du second appliquées aux nombres, et quelques définitions et propositions du cinquième.
Enfin j’admoneste ceux qui voudront mettre ces jeux en usage et en avoir du contentement, qu’ils prennent le soin de les faire avec une telle dextérité qu’on n’en puisse pas aisément découvrir l’artifice ; car ce qui ravit les esprits des hommes, c’est un effet admirable dont la cause leur est inconnue. C’est pourquoi, si l’on fait plusieurs fois de suite le même jeu, il faut toujours y apporter quelque diversité, le faisant en différentes façons, ainsi que j’enseigne aux avertissements que je donne après les démonstrations, qui pour cette cause doivent être lus diligemment et bien considérés. »
       
Devinette : quel est l’âge du capitaine ?
  « Chacun connaît la classique devinette de l’âge du capitaine. La version la plus explicite et la plus littéraire en est due à Gustave Flaubert, dans une lettre du 15 mars 1843 à sa sœur Caroline : « (…) je vais te donner un problème : Un navire est en mer, il est parti de Boston, chargé d’indigo, il jauge deux cents tonneaux, fait voile vers le Havre, le grand mât est cassé, il y a un mousse sur le gaillard d’avant, les passagers sont au nombre de douze, le vent souffle N.E.E. [sic], l’horloge marque trois heures un quart d’après-midi, on est au mois de mai… On demande l’âge du capitaine ». L’apparente absurdité de la question donne le plaisir trop rare de pouvoir tourner en dérision les prétentions du calcul à résoudre tout problème. L’énoncé est à ce point en résonance avec l’impitoyable lutte de Flaubert contre la bêtise, qu’il semblerait naturel de lui en attribuer l’invention. Pourtant, tel n’est pas le cas puisqu’il y a une réponse logique à la question. Encore faut-il la poser sous la forme où elle se raconte encore parfois du côté de Marseille : « Un bateau arrive dans le port en provenance d’Afrique du Nord. Sa longueur est de 60 mètres, etc. Il transporte 500 moutons, 200 chèvres et 150 travailleurs immigrés [comme on ne disait pas encore]. Quel est l’âge du capitaine ? » Eh bien il a 39 ans, parce qu’il va vers la quarantaine. Évident, non ? En tout cas, évident pour quiconque connaissait les épidémies qui, régulièrement, débarquaient dans les grands ports, et la rigoureuse mise en quarantaine qui tentait de les conjurer. Flaubert aurait apprécié l’« hénaurme » ironie qui, d’un subtil jeu de langue, a fait une triviale plaisanterie mathématique. Comme si cet abîme du sens qu’est le discours de la science pour les profanes finissait par engloutir tout sens possible… Comme s’il n’y avait plus de raison autre que scientifique, plus de logique autre que calculatoire… L’histoire ainsi restaurée de ce capitaine ad hoc vient rappeler || qu’il n’y a pas de compréhension sans entendement – pas de science sans langue. »
       
     
       
     
       
 
   
       
       

 

   
N. Witkowski, « Quadrature du cercle », in Dictionnaire culturel des sciences, sous la direction de N. Witkowski, Seuil-Regard, 2001, p. 353.
   
C.-G. Bachet (1581-1638), Problèmes plaisants & délectables qui se font par les nombres, « Préface au lecteur », seconde édition, 1624 ; – 5ème édition revue, simplifiée et augmentée par A. Labosne ; Éd. Albert Blanchard, 1993, p. 8-10.
   
J.-M. Lévy-Leblond, « Capitaine », in Dictionnaire culturel des sciences, sous la direction de N. Witkowski, Seuil-Regard, 2001, p. 84-86.
   
 
   
 
   
 
   
   
   
   
   

 

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