Dernière édition MMIV Dé 21 - Minuit |
Que vient faire la morale ici ? |
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Le problème social est plus important que le problème politique, et le problème moral plus important que le problème social. |
« Comme André Gide, qu’on n’accusait guère d’être un mystique, je pense que le problème social est plus important que le problème politique, et le problème moral plus important que le problème social. On en revient toujours à la lutte entre le bien et le mal. » | ||
La morale en tant que problème. |
« La morale en tant que problème. – Le manque d’individualités s’expie partout ; une personnalité affaiblie, mince, éteinte, qui se nie et se renie elle-même, n’est plus bonne à rien, – et, moins qu’à toute autre chose, à faire de la philosophie. Le « désintéressement » n’a point de valeur au ciel ni sur la terre ; les grands problèmes exigent tous le grand amour, et il n’y a que les esprits vigoureux, nets et sûrs qui en soient capables, les esprits à base solide. C’est une différence considérable si un penseur prend personnellement position en face de ses problèmes, de telle sorte qu’il trouve en eux sa destinée, sa peine et aussi son plus grand bonheur ; ou s’il s’approche de ses problèmes d’une façon « impersonnelle » : c’est-à-dire s’il n’y touche et ne les saisit qu’avec des pensées de froide curiosité. Dans ce dernier cas, il n’en résultera rien, car une chose est certaine, les grands problèmes, en admettant même qu’ils se laissent saisir, ne se laissent point garder par les êtres au sang de grenouille et par les débiles. Telle fut leur fantaisie de toute éternité, – une fantaisie qu’ils partagent d’ailleurs avec toutes les braves petites femmes. – Or, d’où vient que je n’aie encore rencontré personne, pas même dans les livres, personne qui se placerait devant la morale comme si elle était quelque chose d’individuel, qui ferait de la morale un problème et de ce problème sa peine, son tourment, sa volupté et sa passion individuelles ? Il est évident que, jusqu’à présent, la morale n’a pas été un problème ; elle a été, au contraire, le terrain neutre, où, après toutes les méfiances, les | dissentiments et les contradictions, on finissait par tomber d’accord, le lieu sacré de la paix, où les penseurs se reposent d’eux-mêmes, où ils respirent et revivent. Je ne vois personne qui ait osé une critique des jugements de valeur moraux, je constate même, dans cette matière, l’absence de tentatives de la part de la curiosité scientifique, de cette imagination délicate et hasardeuse des psychologues et des historiens qui anticipe souvent sur un problème, qui le saisit au vol sans savoir au juste ce qu’elle tient. À peine si j’ai découvert quelques rares essais de parvenir à une histoire des origines de ces sentiments et de ces évaluations (ce qui est toute autre chose qu’une critique, et encore autre chose que l’histoire des systèmes éthiques) : dans un cas isolé, j’ai tout fait pour encourager un penchant et un talent portés vers ce genre d’histoire – je constate aujourd’hui que c’était en vain. Ces historiens de la morale (qui sont surtout des Anglais) sont de mince importance : ils se trouvent généralement encore, de façon ingénue, sous les ordres d’une morale définie ; ils en sont, sans s’en douter, les porte-boucliers et l’escorte : ils suivent en cela ce préjugé populaire de I’Europe chrétienne, ce préjugé que l’on répète toujours avec tant de bonne foi et qui veut que les caractères essentiels de l’action morale soient l’altruisme, le renoncement, le sacrifice de soi-même, la pitié, la compassion. Leurs fautes habituelles, dans leurs hypothèses, c’est d’admettre une sorte de consensus entre les peuples, au moins entre les peuples domestiqués, au sujet de certains préceptes de la morale et d’en conclure à une obligation absolue, même pour les relations entre individus. Quand, au contraire, ils se sont rendu compte de cette vérité que, chez les différents peuples, les appréciations morales sont nécessairement différentes, ils veulent en conclure que toute morale est sans obligation. Les deux points de vue sont également enfantins. La faute des plus subtils d’entre eux, c’est de découvrir et de critiquer les opinions, peut-être erronées, qu’un peuple pourrait avoir sur sa morale, ou bien les hommes sur toute morale humaine, soit des opinions sur l’origine de la morale, la sanction religieuse, la superstition du libre arbitre, etc., et de croire qu’ils ont, de ce fait, critiqué cette morale elle-même. Mais la valeur du précepte « tu dois » est profondément différente et indépendante de pareilles opinions sur ce précepte, et de l’ivraie d’erreurs dont il est peut-être couvert : de même l’efficacité d’un médicament sur un malade n’a aucun rapport avec les notions médicales de ce malade, qu’elles soient scientifiques ou qu’il pense comme une vieille femme. Une morale pourrait même avoir son origine dans une erreur : cette constatation ne ferait même pas toucher au problème de sa valeur. – La valeur de ce médicament, le plus célèbre de tous, de ce médicament que l’on appelle morale, n’a donc été examinée jusqu’à présent par personne – il faudrait, pour | cela, avant toute autre chose, qu’elle fût mise en question. Eh bien ! c’est précisément là notre œuvre. » | ||
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M. Yourcenar (1903-1987), Les Yeux ouverts : entretiens avec Matthieu Galey, « Une politique pour demain », Le Centurion, 1980, p. 310. | |
F. W. Nietzsche (1844-1900), Le Gai savoir : « la gaya scienza » (1882-1887), « Livre cinquième », § 345 : Moral als Problem. – Der Mangel an Person rächt sich überall ; eine geschwächte, dünne, ausgelöschte, sich selbst leugnende und verleugnende Persönlichkeit taugt zu keinem guten Dinge mehr, – sie taugt am wenigsten zur Philosophie. Die "Selbstlosigkeit" hat keinen Werth im Himmel und auf Erden ; die grossen Probleme verlangen alle die grosse Liebe, und dieser sind nur die starken, runden, sicheren Geister fähig, die fest auf sich selber sitzen. Es macht den erheblichsten Unterschied, ob ein Denker zu seinen Problemen persönlich steht, so dass er in ihnen sein Schicksal, seine Noth und auch sein bestes Glück hat, oder aber "unpersönlich" : nämlich sie nur mit den Fühlhörnern des kalten neugierigen Gedankens anzutasten und zu fassen versteht. Im letzteren Falle kommt Nichts dabei heraus, so viel lässt sich versprechen : denn die grossen Probleme, gesetzt selbst, dass sie sich fassen lassen, lassen sich von Fröschen und Schwächlingen nicht halten, das ist ihr Geschmack seit Ewigkeit, – ein Geschmack übrigens, den sie mit allen wackern Weiblein theilen. – Wie kommt es nun, dass ich noch Niemandem begegnet bin, auch in Büchern nicht, der zur Moral in dieser Stellung als Person stünde, der die Moral als Problem und dies Problem als seine persönliche Noth, Qual, Wollust, Leidenschaft kennte ? Ersichtlich war bisher die Moral gar kein Problem ; vielmehr Das gerade, worin man, nach allem Misstrauen, Zwiespalt, Widerspruch, mit einander überein kam, der geheiligte Ort des Friedens, wo die Denker auch von sich selbst ausruhten, aufathmeten, auflebten. Ich sehe Niemanden, der eine Kritik der moralischen Werthurtheile gewagt hätte ; ich vermisse hierfür selbst die Versuche der wissenschaftlichen Neugierde, der verwöhnten versucherischen Psychologen- und Historiker-Einbildungskraft, welche leicht ein Problem vorwegnimmt und im Fluge erhascht, ohne recht zu wissen, was da erhascht ist. Kaum dass ich einige spärliche Ansätze ausfindig gemacht habe, es zu einer Entstehungsgeschichte dieser Gefühle und Werthschätzungen zu bringen (was etwas Anderes ist als eine Kritik derselben und noch einmal etwas Anderes als die Geschichte der ethischen Systeme) : in einem einzelnen Falle habe ich Alles gethan, um eine Neigung und Begabung für diese Art Historie zu ermuthigen – umsonst, wie mir heute scheinen will. Mit diesen Moral-Historikern (namentlich Engländern) hat es wenig auf sich : sie stehen gewöhnlich selbst noch arglos unter dem Kommando einer bestimmten Moral und geben, ohne es zu wissen, deren Schildträger und Gefolge ab ; etwa mit jenem noch immer so treuherzig nachgeredeten Volks-Aberglauben des christlichen Europa, dass das Charakteristicum der moralischen Handlung im Selbstlosen, Selbstverleugnenden, Sich-Selbst-Opfernden, oder im Mitgefühle, im Mitleiden belegen sei. Ihr gewöhnlicher Fehler in der Voraussetzung ist, dass sie irgend einen consensus der Völker, mindestens der zahmen Völker über gewisse Sätze der Moral behaupten und daraus deren unbedingte Verbindlichkeit, auch für dich und mich, schliessen ; oder dass sie umgekehrt, nachdem ihnen die Wahrheit aufgegangen ist, dass bei verschiedenen Völkern die moralischen Schätzungen nothwendig verschieden sind, einen Schluss auf Unverbindlichkeit aller Moral machen : was Beides gleich grosse Kindereien sind. Der Fehler der Feineren unter ihnen ist, dass sie die vielleicht thörichten Meinungen eines Volkes über seine Moral oder der Menschen über alle menschliche Moral aufdecken und kritisiren, also über deren Herkunft, religiöse Sanktion, den Aberglauben des freien Willens und dergleichen, und ebendamit vermeinen, diese Moral selbst kritisirt zu haben. Aber der Werth einer Vorschrift "du sollst" ist noch gründlich verschieden und unabhängig von solcherlei Meinungen über dieselbe und von dem Unkraut des Irrthums, mit dem sie vielleicht überwachsen ist : so gewiss der Werth eines Medikaments für den Kranken noch vollkommen unabhängig davon ist, ob der Kranke wissenschaftlich oder wie ein altes Weib über Medizin denkt. Eine Moral könnte selbst aus einem Irrthum gewachsen sein : auch mit dieser Einsicht wäre das Problem ihres Werthes noch nicht einmal berührt. – Niemand also hat bisher den Werth jener berühmtesten aller Medizinen, genannt Moral, geprüft : wozu zuallererst gehört, dass man ihn einmal – in Frage stellt. Wohlan ! Dies eben ist unser Werk. – Robert Laffont, « Bouquins » : Œuvres, t. II, 1993, p. 208-210. | |