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  Philosophie  

  Avis aux amateurs : philosopher consiste à inventer, ou plutôt à réinventer, des problèmes souvent vieux comme le monde.
Aussi, en cas de problème, tâcher autant que possible d’agir en homme de pensée, ou de penser en homme d’action.
         
En philosophie, seuls les problèmes comptent : il faut savoir les poser avant de les résoudre…
  « Une difficulté à résoudre. Une question ? C’est ordinairement la forme que prend pour nous un problème, ou plutôt que nous lui donnons. D’où ce passage fameux de Bachelard : « Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et, quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. » Cela vaut aussi en philosophie, et sans doute pour toute pensée digne de ce nom. Mais toute question n’est pas un problème. Par exemple quelqu’un vous demande l’heure : c’est une question, pas un problème. Si vous lui demandez : « Pourquoi voulez-vous savoir l’heure qu’il est ? », vous transformez – en l’occurrence indûment – sa question en problème. Il pourrait vous le reprocher : « Pourquoi faites-vous un problème de ma question ? » En philosophie, c’est différent. Seuls les problèmes comptent, qu’il faut poser avant de les résoudre. Qu’est-ce que poser un problème ? C’est expliquer pourquoi une question se pose, et doit se poser, non à tel ou tel individu, mais pour tout esprit raisonnable fini, doué d’une culture au moins minimum. Tel est le but de l’introduction, dans une dissertation philosophique : il s’agit de passer de la contingence d’une question à la nécessité d’un problème, avant d’élaborer, si possible, une problématique. »  
         
Le problème central de la philosophie est que la philosophie se pose elle-même comme problème.
 

« Le problème central de la philosophie est que la philosophie se pose elle-même comme problème. Pourquoi avons-nous besoin de philosophie ?
L’idée fondamentale de l’être, ou de la réalité, ou de la vérité, voilà ce que nous cherchons dans la philosophie. La philosophie est la recherche de l’Être. Qu’est-ce que l’Être, qu’est-ce que la réalité : voilà le problème de la philosophie. »

 
         
Pour nous autres, philosophes, la vie consiste à transformer sans cesse tout ce que nous sommes, en clarté et en flamme, et aussi tout ce qui nous touche : c’en est fait de la confiance en la vie ; la vie elle-même est devenue un problème. (Mais que l’on ne s’imagine pas que tout ceci vous a nécessairement rendu misanthrope : on aime autrement la vie ; notre amour est comme l’amour pour une femme sur qui nous avons des soupçons.) Nous connaissons un bonheur nouveau…
  « On devine que je ne voudrais pas prendre congé avec ingratitude de cette époque de malaise profond, dont l’avantage persiste pour moi aujourd’hui encore, – tout comme j’ai très bien conscience des avantages que me procure, en général, ma santé chancelante, sur tous les gens à l’esprit trapu. Un philosophe qui a traversé plusieurs états de santé, et qui parcourt encore ce chemin, a aussi traversé tout autant de philosophies : car il ne peut faire autrement que de transposer chaque fois son état dans la forme lointaine la plus spirituelle, – cet art de la transfiguration, c’est précisément la philosophie. Nous ne sommes pas libres, nous autres philosophes, de séparer le corps de l’âme, comme fait le peuple, et nous sommes moins libres encore de séparer l’âme de l’esprit. Nous ne sommes pas des grenouilles pensantes ; nous ne sommes pas des appareils objectifs et enregistreurs avec des entrailles en réfrigération, – il faut sans cesse que nous enfantions nos pensées dans la douleur et que, maternellement, nous leur donnions ce que nous avons en nous. de sang, de cœur, d’ardeur, de joie, de passion, de tourment, de conscience, de destin, de fatalité. La vie consiste, pour nous, à transformer sans cesse tout ce que nous sommes, en clarté et en flamme, et aussi tout ce qui nous touche. Nous ne pouvons faire autrement. Et pour ce qui en est de la maladie, ne serions-nous pas tentés de demander si, d’une façon générale, nous pouvons nous en passer ? La grande douleur seule est l’ultime libératrice de l’esprit, c’est elle qui enseigne le grand soupçon, qui fait de chaque U un X, un X vrai et véritable, c’est-à-dire l’avant-dernière lettre avant la dernière… Seule la grande douleur, cette longue et lente douleur qui prend son temps, où nous nous consumons en quelque sorte comme brûlés au bois vert, nous contraint, nous autres philosophes, à descendre dans nos dernières profondeurs et à nous dépouiller de toute confiance, de toute bienveillance, de toute demi-teinte, de toute douceur, de tout moyen terme, où nous avions | peut-être mis précédemment notre humanité. Je doute fort qu’une pareille douleur rende « meilleur » ; – mais je sais qu’elle nous rend plus profonds. Soit donc que nous apprenions à lui opposer notre fierté, notre moquerie, notre force de volonté et que nous fassions comme le Peau-Rouge qui, quoique horriblement torturé, s’indemnise de son bourreau par la méchanceté de sa langue, soit que nous. nous retirions, devant la douleur, dans le néant oriental – on l’appelle nirvana – dans la résignation muette, rigide et sourde, dans l’oubli et l’effacement de soi : toujours on revient comme un autre homme de ces dangereux exercices, dans la domination de soi, avec quelques points d’interrogation en plus, avant tout avec la volonté d’interroger dorénavant plus qu’il n’a été interrogé jusqu’à présent, avec plus de profondeur, de sévérité, de dureté, de méchanceté et de silence. C’en est fait de la confiance en la vie : la vie elle-même est devenue un problème. – Mais que l’on ne s’imagine pas que tout ceci vous a nécessairement rendu misanthrope ! L’amour de la vie est même possible encore, – si ce n’est que l’on aime autrement. Notre amour est comme l’amour pour une femme sur qui nous avons des soupçons… Cependant le charme de tout ce qui est problématique, la joie causée par l’X sont trop grands, chez ces hommes plus spiritualisés et plus intellectuels, pour que ce plaisir ne passe pas toujours de nouveau comme une flamme claire sur toutes les misères de ce qui est problématique, sur tous les dangers de l’incertitude, même sur la jalousie de l’amoureux. Nous connaissons un bonheur nouveau… »  
         
Problèmes logico-philosophiques : ce livre traite de problèmes de philosophie et montre que la formulation de ces problèmes repose sur un malentendu de la logique de notre langage. (On pourrait résumer tout le sens de ce livre en ces mots : tout ce qui peut être dit peut être dit clairement ; et ce dont on ne peut parler on doit le taire.)
 

« Il se peut que ce livre ne soit compris que par celui qui aura lui-même déjà pensé les pensées qui y sont exprimées – ou des pensées analogues. Ce n’est donc pas un manuel. Son objet serait atteint s’il procurait du plaisir à qui le lirait.
Le livre traite de problèmes de philosophie et, comme je le crois, montre que la formulation de ces problèmes repose sur un malentendu de la logique de notre langage. On pourrait résumer tout le sens de ce livre en ces mots : tout ce qui peut être dit peut être dit clairement ; et ce dont on ne peut parler on doit le taire.
Le livre, en conséquence, tracera des limites à la pensée, ou plutôt – non à la pensée, mais à l’expression des pensées, car, pour tracer une limite à la pensée, nous devrions être capables de penser des deux côtés de cette limite (nous devrions être capable de penser ce qui ne peut être pensé).
La limite ne peut, par conséquent, être tracée que dans le langage, et ce qui se trouve de l’autre côté de la limite sera simplement du non-sens. »

 
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         

   
A. Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, s.v. « Problème » ; P.U.F., « Perspectives critiques », 2001, p. 472.
   
F. Pessoa (1888-1935), Le Chemin du serpent, VII : « L’Ombre de Dieu : pensées sur la religion », “La philosophie” (1908 ?) ; Bourgois, Œuvres de Fernando Pessoa, t. vii, 1991, p. 341.
   
F. W. Nietzsche (1844-1900), Le Gai savoir : « la gaya scienza » (1882-1887), « Avant-propos à la deuxième édition » (1887), § 3 : – Man erräth, dass ich nicht mit Undankbarkeit von jener Zeit schweren Siechthums Abschied nehmen möchte, deren Gewinn auch heute noch nicht für mich ausgeschöpft ist : so wie ich mir gut genug bewusst bin, was ich überhaupt in meiner wechselreichen Gesundheit vor allen Vierschrötigen des Geistes voraus habe. Ein Philosoph, der den Gang durch viele Gesundheiten gemacht hat und immer wieder macht, ist auch durch ebensoviele Philosophien hindurchgegangen : er kann eben nicht anders als seinen Zustand jedes Mal in die geistigste Form und Ferne umzusetzen, – diese Kunst der Transfiguration ist eben Philosophie. Es steht uns Philosophen nicht frei, zwischen Seele und Leib zu trennen, wie das Volk trennt, es steht uns noch weniger frei, zwischen Seele und Geist zu trennen. Wir sind keine denkenden Frösche, keine Objektivir- und Registrir-Apparate mit kalt gestellten Eingeweiden, – wir müssen beständig unsre Gedanken aus unsrem Schmerz gebären und mütterlich ihnen Alles mitgeben, was wir von Blut, Herz, Feuer, Lust, Leidenschaft, Qual, Gewissen, Schicksal, Verhängniss in uns haben. Leben – das heisst für uns Alles, was wir sind, beständig in Licht und Flamme verwandeln, auch Alles, was uns trifft, wir können gar nicht anders. Und was die Krankheit angeht : würden wir nicht fast zu fragen versucht sein, ob sie uns überhaupt entbehrlich ist ? Erst der grosse Schmerz ist der letzte Befreier des Geistes, als der Lehrmeister des grossen Verdachtes, der aus jedem U ein X macht, ein ächtes rechtes X, das heisst den vorletzten Buchstaben vor dem letzten… Erst der grosse Schmerz, jener lange langsame Schmerz, der sich Zeit nimmt, in dem wir gleichsam wie mit grünem Holze verbrannt werden, zwingt uns Philosophen, in unsre letzte Tiefe zu steigen und alles Vertrauen, alles Gutmüthige, Verschleiernde, Milde, Mittlere, wohinein wir vielleicht vordem unsre Menschlichkeit gesetzt haben, von uns zu thun. Ich zweifle, ob ein solcher Schmerz "verbessert" – ; aber ich weiss, dass er uns vertieft. Sei es nun, dass wir ihm unsern Stolz, unsern Hohn, unsre Willenskraft entgegenstellen lernen und es dem Indianer gleichthun, der, wie schlimm auch gepeinigt, sich an seinem Peiniger durch die Bosheit seiner Zunge schadlos hält ; sei es, dass wir uns vor dem Schmerz in jenes orientalische Nichts zurückziehn – man heisst es Nirvana – in das stumme, starre, taube Sich-Ergeben, Sich-Vergessen, Sich-Auslöschen : man kommt aus solchen langen gefährlichen Uebungen der Herrschaft über sich als ein andrer Mensch heraus, mit einigen Fragezeichen mehr, vor Allem mit dem Willen, fürderhin mehr, tiefer, strenger, härter, böser, stiller zu fragen als man bis dahin gefragt hatte. Das Vertrauen zum Leben ist dahin – das Leben selbst wurde zum Problem. – Möge man ja nicht glauben, dass Einer damit nothwendig zum Düsterling geworden sei ! Selbst die Liebe zum Leben ist noch möglich, – nur liebt man anders. Es ist die Liebe zu einem Weibe, das uns Zweifel macht… Der Reiz alles Problematischen, die Freude am X ist aber bei solchen geistigeren, vergeistigteren Menschen zu gross, als dass diese Freude nicht immer wieder wie eine helle Gluth über alle Noth des Problematischen, über alle Gefahr der Unsicherheit, selbst über die Eifersucht des Liebenden zusammenschlüge. Wir kennen ein neues Glück – Robert Laffont, « Bouquins » : Œuvres, t. ii, 1993, p. 30-31.
   
L. Wittgenstein (1889-1951), Tractatus logico-philosophicus (1921), « Préface », Vienne, 1918 : Dieses Buch wird vielleicht nur der verstehen, der die Gedanken, die darin ausgedrückt sind – oder doch ähnliche Gedanken – schon selbst einmal gedacht hat. – Es ist also kein Lehrbuch. – Sein Zweck wäre erreicht, wenn es einem, der es mit Verständnis liest, Vergnügen bereitete. / Das Buch behandelt die philosophischen Probleme und zeigt – wie ich glaube – daß die Fragestellung dieser Probleme auf dem Mißverständnis der Logik unserer Sprache beruht. Man könnte den ganzen Sinn des Buches etwa in die Worte fassen : Was sich überhaupt sagen läßt, läßt sich klar sagen; und wovon man nicht reden kann, darüber muß man schweigen. / Das Buch will also dem Denken eine Grenze ziehen, oder vielmehr – nicht dem Denken, sondern dem Ausdruck der Gedanken : Denn um dem Denken eine Grenze zu ziehen, müßten wir beide Seiten dieser Grenze denken können (wir müßten als denken können, was sich nicht denken läßt). / Die Grenze wird also nur in der Sprache gezogen werden können und was jenseits der Grenze liegt, wird einfach Unsinn sein. – Gallimard, « Tel », no 109, 1998, p. 27.
   
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