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Dernière édition MMIV Dé 21 - Minuit  
Science  
     
   
       
Dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes : c’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique
  « La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. »
       
Les scientifiques ne traitent que de questions limitées et pour lesquelles existent des solutions : les apprentis scientifiques sont formés à poser leurs problèmes de façon « constructive » et à les simplifier, à choisir les méthodes qui apporteront des réponses
 

« Depuis Galilée et Descartes, la science tend à considérer, de façon un peu triomphaliste, qu’elle est seule capable de produire de vraies connaissances. Souvent décrits comme résolvant des puzzles successifs, les scientifiques ne traitent toutefois que de questions limitées et pour lesquelles existent des solutions. Les apprentis scientifiques sont formés à poser leurs problèmes de façon « constructive » et à les simplifier, à choisir les méthodes qui apporteront des réponses. Celui qui tenterait d’explorer des questions « insolubles » est souvent considéré comme perdant son temps. Dans ce choix essentiel et qui fait toute l’efficacité de la science moderne, ce qui n’a pas de solution ou n’est pas calculable est rejeté du domaine de la science – et par extension du domaine du connaissable puisqu’une tendance bien affirmée consiste à identifier science et savoir.
Il faut toutefois se souvenir qu’avant le xviie siècle, dans la tradition platonicienne par exemple, apprendre à connaître ce que nous ignorons était capital : c’était en effet la voie de la sagesse. Dans le monde contemporain, celui de la techno-science, où la force des savoirs est souvent mesurée à l’aune de leur efficacité pratique, le fait d’ignorer qu’il est beaucoup de choses que nous ne savons pas (et que la science ne sait pas) peut générer de nombreuses difficultés. Les meilleurs exemples actuels de cette situation peuvent être trouvés dans les problèmes que rencontre l’agroalimentaire. Plus fondamentalement, cette ignorance de l’ignorance conduit à des attitudes arrogantes de la part des experts, qui font volontiers jouer à la science un rôle autoritaire. Une meilleure appréciation de ses limites permettrait au contraire de contribuer, positivement, au débat démocratique. »

       
La science détourne des problèmes essentiels.
  « Principal mal de la science : détourner des problèmes essentiels, en promettant on ne sait quelle solution d’on ne sait quoi. »
       
     
       
     
       
 
   
       
       

   
G. Bachelard (1884-1962), La Formation de l’esprit scientifique : contribution à une psychanalyse de la connaissance objective (1938), Chap. I : « La notion d’obstacle épistémologique », i ; Librairie Vrin, 1975, p. 14.
   
D. Pestre, « Ignorance », in Dictionnaire culturel des sciences, sous la direction de N. Witkowski, Seuil-Regard, 2001, p. 224.
   
L. Tolstoï (1828-1910), Journal, avril 1905 ; Gallimard, « Pléiade » : Journaux et carnets, t. iii, 1985, p. 23.
   
 
   
 
   
 
   
   
   
   
   

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