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  X  

         
 

X, la lettre antépénultième de l'alphabet, c’est l’inconnu, c’est-à-dire l’inconnue de l’équation.

 
         
Le protestantisme, arrivé à toutes ses conséquences, est nu comme ses temples et hideux comme les X d’un problème
  « Je suis du nombre de ceux qui considèrent les innovations de J.-J. Rousseau comme de grands malheurs : il a, plus que tout autre, poussé notre pays vers ce système d’hypocrisie anglaise qui envahit nos charmantes mœurs, contre lequel les bons esprits doivent réagir avec courage, malgré les déclamations de quelques singes de l’école anglaise et genevoise. Le protestantisme, arrivé à toutes ses conséquences, est nu comme ses temples et hideux comme les X d’un problème. »  
         
Comment reconnaître un film X ?
 

« Je ne sais s’il vous est déjà arrivé de voir un film pornographique. Je ne parle pas ici de films contenant un certain érotisme, fût-il outrageant aux yeux de beaucoup, comme le Dernier Tango à Paris. J’entends le film porno, dont le seul et unique but est de provoquer le désir du spectateur, du début jusqu’à la fin, et qui est construit de sorte que, pourvu que les images d’accouplements soient excitantes, le reste compte pour du beurre.
Très souvent, les magistrats sont amenés à décider si un film est purement pornographique ou s’il a une valeur artistique. Je ne suis pas de ceux qui considèrent que l’art absout tout, d’authentiques chefs-d’œuvre s’étant révélés parfois plus dangereux pour la foi, les mœurs ou l’opinion publique, que certaines réalisations mineures. En outre, j’estime que des adultes consentants ont le droit de consommer du porno, du moins faute de mieux. Cela étant, les tribunaux doivent juger si un film a été conçu pour exprimer des concepts ou idéaux esthétiques (fût-ce au moyen de scènes pouvant offenser le sens commun de la pudeur), ou s’il a été réalisé dans le seul et unique but d’éveiller les instincts du spectateur.
Eh bien, le critère permettant de reconnaître un film existe : c’est le calcul des temps morts. La Chevauchée fantastique, chef-d’œuvre absolu du cinéma, se déroule presque entièrement (exception faite du début, de quelques intermèdes et de la fin) dans une diligence. Sans ce voyage, le film n’aurait aucun sens. L’Avventura d’Antonioni est constitué de temps morts : les acteurs vont, viennent, parlent, se perdent, se retrouvent, et il ne se passe rien. Or le film dit justement qu’il ne se passe jamais | rien. Qu’on l’apprécie ou non, son but précis est de nous dire cela.
En revanche, pour justifier l’achat d’un billet de cinéma ou d’une cassette vidéo, un porno nous dit que des gens s’accouplent, des hommes avec des femmes, des hommes avec des hommes, des femmes avec des femmes, des femmes avec des chiens ou des chevaux (il n’existe aucun porno où des hommes s’accouplent avec des juments ou des chiennes. Pourquoi ?). Bon, tout ça passe encore. Mais il se trouve que le porno est bourré de temps morts.
Si, pour violer Gilberta, Gilberto doit aller de la place de Cordoue à l’avenue Buenos Aires, le film vous montre Gilberto en bagnole qui, feu rouge après feu rouge, parcourt tout le trajet.
Les films porno sont remplis de gens qui montent en voiture et conduisent pendant des kilomètres, de couples qui mettent un temps fou à remplir les formalités d’accueil des hôtels, d’hommes qui passent d’interminables minutes dans l’ascenseur avant d’atteindre leur chambre, de filles qui savourent des liqueurs multiples et variées, batifolent en nuisette et finissent par s’avouer qu’elles préfèrent Sapho à Don Juan. Bref, pour parler en mots simples et crus, avant d’assister à une bonne baise, il faut se farcir une longue pub du ministère des transports.
Les raisons à cela sont évidentes. Un film où Gilberto violerait sans interruption Gilberta, par-devant, par-derrière et sur le côté, serait insupportable, physiquement pour les acteurs, économiquement pour le producteur. Et psychologiquement pour le spectateur : afin que la transgression ait lieu, il faut qu’elle se dessine sur un fond de normalité. Tout artiste sait combien la représentation de la normalité est chose difficile alors qu’il est très aisé de représenter la déviation, le crime, le viol ou la torture.
Aussi, le porno doit-il représenter la normalité – essentielle à la transgression – en accord avec la façon dont le spectateur moyen la conçoit. C’est pourquoi, si Gilberto doit prendre | l’autobus et aller de A à B, on verra Gilberto prendre l’autobus et l’autobus aller de A à B.
Cela en irrite certains, qui voudraient n’assister qu’à des scènes innommables. Mais c’est une illusion : ils ne résisteraient pas à une heure et demie de ce type de scènes. D’où l’absolue nécessité des temps morts.
Je récapitule. Entrez dans une salle de ciné : si pour aller de A à B, les protagonistes mettent plus de temps que vous ne le souhaiteriez, alors c’est un film porno. »

 
       
         
       
         
       
         
       
         
         
         
 
 
     
         
         
         
         
         

   
H. Balzac (1799-1850), Théorie des excitants modernes (1839), « Préambule » ; Gallimard, « Pléiade » : La Comédie humaine, t. xii, 1981, p. 304.
   
U. Eco, Comment voyager avec un saumon : nouveaux pastiches et postiches, II : « Modes d’emploi », “Comment reconnaître un film porno” (1989) ; – trad. fr., Grasset & Fasquelle, 1997, p. 131-133.
   
 
   
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