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  Ce que j’appelle la liberté d’esprit ?  

 
 
     
Secouer son propre cocotier pour décrocher les idées qui ont fait leur temps, voilà ce que j’appelle la liberté d’esprit – laquelle, pour être vraiment crédible, devrait commencer par être appliquée à soi-même
  « De la fidélité aux idées. – Personne n’est obligé d’être fidèle à une idée. Basta des donneurs de leçons qui vous fustigent parce que vous refusez de vous lier l’esprit aux rets d’une théorie particulière, ignorant que, sous toute idée, se cache un complexe de raisons orientées dans le même sens et nouées entre elles. Il n’y a pas d’idée solitaire : la plus simple traîne derrière elle un réseau théorique. Rester fidèle à une idée, c’est donc accepter un dogme, plus ou moins consciemment, et se mettre en situation de le bétonner à chaque échange.
Pourtant, l’inconstance intellectuelle a très mauvaise presse. Elle est généralement assimilée à de la faiblesse d’esprit ou à de l’opportunisme. Méfiance bizarre car, enfin, comment peut-on convaincre quelqu’un, ou se laisser convaincre par lui, si l’on n’accepte pas le principe de la « trahison des idées » ? On | dira qu’il y a une différence entre changer fréquemment d’idées – caractéristique d’un intellect volage – et se convertir exceptionnellement au point de vue d’un autre lorsque ses raisons paraissent meilleures. C’est avouer une certaine incapacité à polémiquer avec soi-même, à se départir seul de ses idées trop familières. Quel mérite y a-t-il à changer d’opinion, quand il y a nécessité à le faire sous la pression d’autrui ? En revanche, secouer son propre cocotier pour décrocher les idées qui ont fait leur temps, voilà ce que j’appelle la liberté d’esprit – laquelle, pour être vraiment crédible, devrait commencer par être appliquée à soi-même.
Quelqu’un a défini l’intelligence comme la faculté de comprendre les raisons qui sont opposées aux nôtres, donc d’être capable, au moins en théorie, de les défendre avec une certaine sincérité (pour autant qu’elles sont à un niveau acceptable). Eh bien, il faut admettre que cette forme d’intelligence ne court pas les rues ! La plupart des gens préféreraient couler avec leurs propres idées plutôt que d’être sauvés avec celles des autres. Chaque discussion polémique les enferme un peu | plus dans leur bunker. Et l’on appelle ces débats des échanges !
Un tel état des lieux n’est pas fait pour donner confiance. La ruse est donc nécessaire. Par prudence, il vaut mieux entrer dans une discussion en donnant à entendre que rien, ni personne, ne nous fera admettre que l’on peut avoir tort. Même si l’on y défend une opinion fraîche de la veille, on la fera passer pour ancienne, et déjà mille fois exposée au feu. Ainsi inspirera-t-on le respect dû à la fidélité aux idées, cette vieille lune dogmatique qui excuse tout, notamment la paresse de penser. »
 
 
 
     
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         

   
G. Picard (1945-…), Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison (1999), « De la fidélité aux idées » ; Librairie José Corti, 1999, p. 67-69.
   
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