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  Ma nature ?  

       
Le fond de ma nature est, quoi qu’on dise, le saltimbanque : je suis avant tout l’homme de la fantaisie, du caprice, du décousu.
  « Le fond de ma nature est, quoi qu’on dise, le saltimbanque. J’ai eu dans mon enfance et ma jeunesse un amour effréné des planches. J’aurais été peut-être un grand acteur, si le ciel m’avait fait naître plus pauvre. Encore maintenant, ce que j’aime par-dessus tout, c’est la forme, pourvu qu’elle soit belle et rien au delà. Les femmes qui ont le cœur trop ardent et l’esprit trop exclusif ne comprennent pas cette religion de la beauté, abstraction faite du sentiment. Il leur faut toujours une cause, un but. Moi, j’admire autant le clinquant que l’or. La poésie du clinquant est même supérieure en ce qu’elle est triste. Il n’y a pour moi dans le monde que les beaux vers, les phrases bien tournées, harmonieuses, chantantes, les beaux couchers de soleil, les clairs de lune, les tableaux colorés, les marbres antiques et les têtes accentuées. Au delà, rien. J’aurais mieux aimé être Talma que Mirabeau, parce qu’il a vécu dans une sphère de beauté plus pure. – Les oiseaux en cage me font tout autant pitié que les peuples en esclavage. De toute la politique, il n’y a qu’une chose que je comprenne, c’est l’émeute. Fataliste comme un Turc, je crois que tout ce que nous pouvons faire pour le progrès de l’humanité ou rien, c’est absolument la même chose. Quant à ce progrès, j’ai l’entendement obtus pour les idées peu claires. Tout ce qui appartient à ce langage m’assomme démesurément. Je déteste assez la tyrannie moderne parce qu’elle me paraît bête, faible et timide d’elle-même, mais j’ai un culte profond pour la tyrannie antique que je regarde comme la plus belle manifestation de l’homme qui ait été. Je suis avant tout l’homme de la fantaisie, du caprice, du décousu. »
       
Bien vite je suis revenu (et je reviens) à ma nature réelle, qui est contemplative
  « Écrivez-moi tout ce que vous voudrez, longuement et souvent, quand même je serais quelque temps sans vous répondre, car, à partir d’hier, nous sommes de vieux amis. Je vous connais, maintenant, et je vous aime. Ce que vous avez éprouvé, je l’ai senti personnellement. Moi aussi, je me suis volontairement refusé à l’amour, au bonheur… Pourquoi ? je n’en sais rien. C’était peut-être par orgueil, – ou par épouvante ? Moi aussi, j’ai considérablement aimé, en silence, – et puis à vingt et un ans, j’ai manqué mourir d’une maladie nerveuse, amenée par une série d’irritations et de chagrins, à force de veilles et de colères. Cette maladie m’a duré dix ans. (Tout ce qu’il y a dans sainte Thérèse, dans Hoffmann et dans Edgar Pœ, je l’ai senti, je l’ai vu, les hallucinés me sont fort compréhensibles.) Mais j’en suis sorti bronzé et très expérimenté tout à coup sur un tas de choses que j’avais à peine effleurées dans la vie. Je m’y suis cependant mêlé quelquefois ; mais par fougue, par crises, – et bien vite je suis revenu (et je reviens) à ma nature réelle qui est contemplative. Ce qui m’a gardé de la débauche, ce n’est pas la vertu, mais l’ironie. La bêtise du vice me fait encore plus rire de pitié que la turpitude ne me dégoûte. »
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       

   
G. Flaubert (1821-1880), Lettre, à Louise Colet, [Croisset, 6 ou 7 août 1846] ; Gallimard, « Pléiade » : Correspondance, t. i, 1973, p. 278.
   
G. Flaubert (1821-1880), Lettre, à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, [Paris, 30 mars 1857] ; Gallimard, « Pléiade » : Correspondance, t. ii, 1980, p. 697.
   
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