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« Trop de
fièvre pour dormir, juste assez pour délirer agréablement […]. Très loin
de moi, je vois les mains posées à plat sur la couette : les miennes ;
elles dorment déjà, et les écorchures de l’avant-veille sont presque fermées.
À dix-neuf ans, je voulais en faire des mains de pianiste. Je n’ai pas
eu le courage, ou la vie en a décidé autrement. Elles ont donc fait d’autres
choses : bricolé des carburateurs ou des arbres à cames, tenu l’accordéon
dans un bar de Quetta, fait la plonge sur les paquebots blancs et défunts
| des Messageries maritimes, manié des caméras Pentax ou Nikon, chassé
– de leur propre initiative et sous diverses latitudes – les mouches à
merde qui venaient m’éponger les yeux, caressé force matous puceux et
quelques dames, suivi d’un index léger la courbe d’un sourcil pour maintenir
un regard dans le mien quand vraiment il fallait que je sache. Pour la
musique, je demanderai une autre vie qu’on me donnera, que je ne consacrerai
qu’à ça. Bonnes mains, déjà un peu tavelées, assoupies avant moi. Je me
suis endormi dans un monde complet. Carrabas. » |
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