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  Mes préceptes ?  

         
Mes pensées et préceptes.
  « Faire de chaque lieu où l’on est un endroit propre, aéré, clair, une oasis pour soi et les autres.
Un lieu où le bruit inutile n’entre pas.
Observer les humbles disciplines. Fidélité dans les petites choses.
Laisser chaque chambre, chaque objet, plus propre, plus agréable à l’œil si possible qu’avant qu’on y soit entré, qu’on y ait touché.
Faire le plus possible à la place des autres.
Par exemple, son assiette, sa tasse. Les laver si possible pour que quelqu’un d’autre n’ait pas à le faire.
Ne jamais laisser derrière soi un travail inaccompli que d’autres feront à notre place.
Ne jamais rien garder d’inutile ; ne jamais rien acheter d’inutile.
Ne jamais posséder un vêtement quelconque qui ne soit pas nettoyé, réparé, prêt à être mis.
Mais les porter s’il se peut jusqu’à ce qu’ils tombent en loques durant les heures de travail, avec cette beauté de ce qui est élimé et fané. Cela par horreur du faux luxe et des fausses élégances.
Manger toujours les aliments les plus simples, les plus purs, les plus frais possible. Pas de viande (seulement lorsque la | politesse ou la bienveillance l’exigent, et seulement alors une bouchée – sauf quand il s’agit du gibier, que toujours tu refuses) ; des œufs, mais le moins possible, sauf quand tu as réussi à en obtenir provenant de volaille qui vit d’une vie naturelle et saine, et ne reçoit aucun stimulant artificiel, et non des misérables poules-machines obligées à pondre en chaîne, et tassées dans les quelques centimètres où l’on les enferme pour la durée de leur vie « productive » ; du lait, oui, bien que tu saches qu’il provient d’une vache dont tu ignores comme elle est traitée et dont tu sais qu’elle finira à la boucherie. Donc, quoique tu fasses, impliquée. Mais impliquée le sachant, et le moins possible. Et peut-être vaut-il mieux qu’une implication demeure, pour que tu ne croies pas pouvoir te désintéresser de l’horreur partout présente, comme le font ceux qui s’imaginent irréprochables. Ne jamais avoir bonne conscience.
Avant d’entamer un repas, quel qu’il soit, pense à ceux qui ont recueilli ces fruits (dans quelles conditions vivent-ils), à ceux qui ont fait pousser ce blé (et dans quelles conditions humaines ou écologiques déplorables ou bonnes), à la vache dont tu reçois le lait, à la poule qui t’a donné cet œuf, et à l’indignité de leur traitement par l’homme. Et ne bois pas de café sans songer au Brésil, et ne prends pas de sucre sans penser à Cuba ; et quand tu te laves les mains, avant ou après le repas, prends soin de ne pas laisser couler négligemment et se perdre l’eau inappréciable.
Ne jamais manger que ce qui est strictement nécessaire.
Goûter pleinement et pensivement ce que tu manges autrement il y aurait ingratitude de ta part.
Préparer les repas avec des soins exquis et avares.
Dédaigner toutes les préparations qui ne sont pas d’une simplicité ravissante.
Prendre un peu de vin, le soir, comme une médecine délicieuse.
La bière, nourriture liquide. Le cidre, essence du verger.
Le thé, caresse du Bouddha. Adjuvant léger, soutien quasi spirituel. |
Le café, auxiliaire déjà presque trop puissant. Un peu, le matin mais dans la journée à de très rares intervalles, en cas de grande fatigue.
Les parfums synthétiques : aucun. Mais l’eau de lavande, l’essence d’hamamélis, quand on peut les trouver authentiques, certaines vieilles formules d’eau de Cologne.
Aucune épingle dans les cheveux. Au plus, quelques peignes. Et si quelques mèches s’évadent, qu’importe ?
Jamais de gaine, de corset, de ceinture – noms variés d’instruments de torture féminins faits pour celles qui ne veulent pas de la forme de leur corps. Et jamais non plus de ces soutiens-gorge qui écrasent, remontent, érigent artificiellement les seins.
Jeune femme, j’ai beaucoup aimé le rouge, rouge à lèvres, rouge à joues qui avive la couleur des yeux. Maintenant plus, ou presque jamais et à peine. Que notre dernier visage soit vu tel qu’il est.
Accepter la maladie. Trois mots. Chaque lettre de ces trois mots représentent des milliers d’efforts. »
 
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         

   
M. Yourcenar (1903-1987), Sources II, « Méditations dans un jardin », “Pensées et préceptes” ; Gallimard, « Les cahiers de la N.R.F. », 1999, p. 244-246.
   
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