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  Dans quel monde je souhaiterais vivre ?  

         
Je souhaiterais vivre dans un monde...
  « Je souhaiterais vivre dans un monde
sans bruits artificiels et inutiles
sans vitesse, et où la notion même de vitesse serait méprisée ou détestée, les transports rapides étant réservés aux membres de professions indispensables, ou à certains cas graves.
Un monde sans effusion de sang humain ou animal, et où tout meurtre serait considéré comme un crime répugnant entraînant des sanctions pratiques et des purifications morales. L’homme taché de sang automatiquement écarté comme sale, égaré et insensé.
Un monde où la sexualité sous toutes ses formes serait tenue pour sacrée, quoique pas nécessairement située au plus haut degré du sacré.
Un monde où il serait honteux et illégal d’avoir plus de trois enfants.
Un monde où la population du globe, par des pratiques sexuelles raisonnables, se serait ramenée et se maintiendrait au-dessous du milliard d’habitants.
Un monde où les deux notions de volupté et de chasteté seraient situées infiniment plus haut qu’elles ne le sont aujourd’hui. |
Un monde qui aurait à peu près éliminé la jalousie.
Un monde où la prostitution ne serait plus que rituelle.
Un monde sans plaisanteries égrillardes, sans réticences hypocrites, sans scatologie, sans sotte exaltation autour de l’amour ou de ce qui passe communément comme tel.
Un monde sans mode, – ou dont la mode ne consisterait qu’en imperceptibles nuances lentement changées.
Un monde où une femme trop visiblement bien vêtue ferait sourire.
Un monde où les plus pauvres auraient accès à la vraie laine, à la vraie soie, aux vêtements les plus commodes et aux couleurs les plus harmonieuses. (Pas d’étoffes artificielles, pas de colorants chimiques instables et laids.)
Un monde où jeter un vêtement usé, un plat ébréché, serait un geste rituel accompli seulement avec hésitation et regret.
Un monde qui placerait très haut l’idée de renouveau et qui mépriserait la notion de nouveauté.
Un monde sans musiques diffusées, mais qui rendrait à tous la danse et le chant.
Un monde où l’instruction avancée réservée aux meilleurs, c’est-à-dire à ceux qui la demanderaient, et se montreraient capables d’en profiter, mais où tout être humain recevrait un minimum d’éducation et d’instruction élémentaires, infiniment plus solides et plus complètes pourtant que ce qu’ils reçoivent aujourd’hui.
Un monde où tout objet vivant, arbre, animal, serait sacré et jamais détruit, sauf avec regret, et du fait d’une absolue nécessité.
Un monde où la viande serait considérée comme une nourriture inférieure, indésirable, utile seulement peut-être à quelques-uns comme un répugnant médicament.
Un monde où l’idée même de concurrence serait stigmatisée comme basse.
Un monde sans idolâtrie, mais riche en respect.
Un monde où la mort serait une grande aventure.
Un monde où le suicide serait de règle sitôt commencement | d’affaiblissement irréparable des facultés. Ceux qui s’y refuseraient pourraient vivre, mais sans honneur.
Un monde où chaque individu, chaque famille où chaque groupe serait encouragé à produire soi-même le plus possible de son nécessaire.
Un monde où il existerait des corps francs dans lequel on se consacrerait pour un temps donné à des travaux d’utilité ou d’embellissement public ou privé, réparations des maisons et des édifices, instruction, fêtes publiques, sans autre salaire que le vivre et le couvert généreusement donnés, et un peu d’argent de poche.
Un monde où la notion de serviteur serait noble, et le serviteur un ami intime.
Un monde où les membres des professions dites intellectuelles passeraient au moins une sur deux de leurs vacances à s’occuper avec plaisir de métiers manuels ou du travail de la terre. »
 
         
         
         
         
         

   
M. Yourcenar (1903-1987), Sources II (1952-1987), « Méditations dans un jardin », “Souhaits” ; Gallimard, « Les cahiers de la N.R.F. », 1999, p. 239-241.
   
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