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  Prologue  

  Le questionnaire que nous proposons ici est un manuel de méditations dicté par deux démons : le kuon (cynique) et le koan (zen). Intelligenti pauca.
En soi, la règle est simple : on pioche une question au hasard ; on laisse résonner la formule une, deux, trois secondes dans le Moi ; enfin, on se prononce comme ça vous va.
 
  On dirait naïvement le questionnaire de Marcel Proust. Peut-être qu’entre chien et loup, tous les chats sont gris. Vous apercevez notre souris ? Non ? Hé oui ! les évidences, une fois sur deux, n’en sont pas.  
  Soit le « questionnaire Marcel Proust », un questionnaire aussi fameux que la madeleine du même nom. On en fait des gorges chaudes à l’heure du thé, le petit doigt en l’air et les bas bleus.
Georges Simenon se demande « s’il [Marcel Proust] n’a pas rédigé ce questionnaire comme un canular, ou pour tester la société brillante, et de préférence titrée, dans laquelle il se complaisait ». On part sur une fausse piste, mauvais départ. Simenon, qui a du flair, se ravise, et devine bientôt que le questionnaire ressemble « à un jeu pour jeunes filles snobs ». CQFD.
Le « questionnaire Marcel Proust » n’est pas de Proust, son auteur n’a jamais pondu À la recherche du temps perdu, – aussi, qui a dit qu’on ne prête qu’aux riches ? Longtemps avant de se lancer à la recherche, le petit Marcel a dû jouer aux cartes, et notamment celle du tendre, puisque ce garçon vivait aussi parmi des jeunes filles. À ce stade-là, le jeu est au miroir, et la réflexion ne va guère plus loin. En 1884 ou 85, Antoinette Faure – la fille du futur président – met sous les yeux du jeune Marcel, alors âgé de 13 ans, un petit questionnaire trouvé dans un album anglais. Puis, quelques années plus tard (1890), nouveau questionnaire, et pour le coup, le divertissement est en version française.
 

 


Ce matin, comme hier et comme tant de fois, j’étais submergé par des problèmes familiaux. Je me suis étendu pour me reposer un moment avant d’aller déjeuner. Et à quoi me suis-je mis à penser ? Au Questionnaire Marcel Proust !
 

« Ce matin, comme hier et comme tant de fois, j’étais submergé par des problèmes familiaux. Je me suis étendu pour me reposer un moment avant d’aller déjeuner. Et à quoi me suis-je mis à penser ? Au Questionnaire Marcel Proust !
J’ai toujours eu une grande admiration pour Proust, et j’ai été un de ses premiers lecteurs. C’est pourquoi je me demande s’il n’a pas rédigé ce questionnaire comme un canular, ou pour tester la société brillante, et de préférence titrée, dans laquelle il se complaisait.
C’est devenu presque un classique, une sorte de bac que l’on fait subir aussi bien aux écrivains qu’à toutes les personnes plus ou moins importantes :
– Quelle est votre fleur préférée ?
– Quel est votre parfum préféré ?
– Quelle est votre couleur préférée ?
– Quel est votre héros préféré ?
… Il y en a comme cela deux pages. J’y ai répondu, comme tout le monde, mais en moins de cinq minutes, et sans me préoccuper de savoir si je disais la vérité ou non. Cela ressemble en effet à un jeu pour jeunes filles snobs.
J’oubliais la qualité préférée, que sais-je encore ? Cela ne mérite pas de rester dans la mémoire.
Si Proust comptait sur son questionnaire pour découvrir la psychologie d’un individu, pour une fois, il a raté.
Et pourtant c’est à lui que je me réfère indirectement à cause d’une question qu’il n’a pas posée : – Quel est votre défaut préféré ?
C’est à cette question que je voudrais répondre en en changeant quelque peu la rédaction : – Que haïssez-vous le plus au monde ?
Plusieurs réponses se pressent à mon esprit :
– La malhonnêteté morale, pour commencer.
Mais il m’en vient tout de suite une autre :
– La complaisance envers soi.
Il y en a beaucoup d’autres dont une m’est venue à l’esprit tandis que je me reposais, étendu sur mon divan. Elle tenait en un mot, beaucoup plus percutant. Ce n’était ni la vanité ni l’orgueil, quoiqu’ils soient en bonne place dans ma liste. Je cherche à me souvenir de ce mot-là. Je sais qu’il a quatre syllabes. Ma mémoire devient de plus en plus déficiente, puisque, après moins d’un quart d’heure, je suis incapable de retrouver un mot.
Ce n’était pas « suffisance » non plus. Ces défauts ont un certain nombre d’excuses plus ou moins valables. Le mot perdu n’en a pas. Il me reviendra peut-être. |
D’ailleurs, cela a peu d’importance, car je considère que ce questionnaire n’ajoute rien à la valeur et à la gloire de Proust.
Il y a un moment, j’étais sur le point de remplacer par le mot « lâcheté » le mot qui me manque. Mais la lâcheté a souvent des excuses. Je préfère, en attendant l’autre mot, le mot « veulerie ».

Même jour, après la sieste.

Tout à l’heure, en posant la tête sur l’oreiller pour ma sieste quotidienne, j’ai soudain trouvé le mot que j’ai tant cherché ce matin : « amertume ».
Si j’ai mis tant de temps à le trouver, c’est qu’il n’appartient guère à mon vocabulaire et encore moins à ma personnalité.
Me voilà soulagé. C’est tout. »

 
         
Marcel Proust (1884-1885)
 
 

(Questions originales)

(Réponses écrites sur l’album d’Antoinette Faure)

1.

Your favourite virtue.

Toutes celles qui ne sont pas particulières à une secte, les universelles.

2a.

Your favourite qualities in man.

L’intelligence, le sens moral.

2b.

Your favourite qualities in woman.

La douceur, le naturel, l’intelligence.

3.

Your favourite occupation.

La lecture, la rêverie, les vers, l’histoire, le théâtre.

4.

Your chief characteristic.

[Proust n’a pas répondu]

5a.

Your idea of happiness.

Vivre près de tous ceux que j’aime avec les charmes de la nature, une quantité de livres et de partitions, et pas loin un théâtre français.

5b.

Your idea of misery.

Être éloigné séparé de maman.

6.

Your favourite colour and flower.

Je les aime toutes, et pour les fleurs je ne sais pas.

7.

If not yourself, who would you be ?

N’ayant pas à me poser la question je préfère ne pas répondre, j’aurais cependant bien aimé être Pline le jeune.

8.

Where would you like to live ?

Au pays de l’idéal, ou plutôt de mon idéal.

9a.

Your favourite prose authors.

George Sand, Aug. Thierry.

9b.

Your favourite poets.

Musset.

10.

Your favourite painters and composers.

Meissonnier. Mozart. Gounod.

11a.

Your favourite heroes in real life.

Un milieu entre Socrate, Périclès, Mahomet, Musset, Pline le Jeune, Aug. Thierry.

11b.

Your favourite heroines in real life.

Une femme de génie ayant l’existence d’une femme ordinaire.

12a.

Your favourite heroes in fiction.

Les héros romanesques poétiques, ceux qui ne sont pas un idéal plutôt qu’un modèle.

12b.

Your favourite heroines in fiction.

Celles qui ne sont plus que des femmes sans sortir de leur sexe, tout ce qui est tendre, poétique, pur, beau dans tous les genres.

13.

Your favourite food and drink.

[Proust n’a pas répondu]

14.

Your favourite names.

[Proust n’a pas répondu]

15.

Your pet aversion.

Les gens qui ne sentent pas ce qui est bien, qui ignorent les douceurs de l’affection.

16.

What characters in history do you most dislike.

[Proust n’a pas répondu]

17.

What is your present state of mind ?

[Proust n’a pas répondu]

18.

For what fault have you most toleration ?

Pour la vie privée des génies

19.

Your favourite motto.

Une qui ne peut pas se résumer parce que sa plus simple expression est ce qui[l y] a de beau, de bon, de grand dans la nature

 
         
Marcel Proust (1890)
 

Le principal trait de mon caractère.

le besoin d’être aimé et, pour préciser, plutôt le besoin d’être caressé et gâté bien plutôt que le besoin d’être admiré.

La qualité que je désire chez un homme.

Des charmes féminins.

La qualité que je préfère chez une femme

Des vertus d’homme et la franchise dans la camaraderie.

Ce que j’apprécie le plus chez mes amis.

D’être tendres pour moi, si leur personne est assez exquise pour donner un grand prix à leur tendresse.

Mon principal défaut.

Ne pas savoir, ne pas pouvoir « vouloir »

Mon occupation préférée.

Aimer.

Mon rêve de bonheur.

J’ai peur qu’il ne soit pas assez élevé, je n’ose pas le dire et j’ai peur de le détruire en le disant.

Quel serait mon plus grand malheur ?

Ne pas avoir connu ma mère ni ma grand’mère.

Ce que je voudrais être.

Moi, comme les gens que j’admire me voudraient.

Le pays où je désirerais vivre.

Celui où certaines choses que je voudrais se réaliseraient comme par un enchantement – et où les tendresses seraient toujours partagées.

La couleur que je préfère.

La beauté n’est pas dans les couleurs, mais dans leur harmonie.

La fleur que j’aime.

La sienne – et après, toutes.

L’oiseau que je préfère.

L’hirondelle.

Mes auteurs favoris en prose.

Aujourd’hui Anatole France et Pierre Loti.

Mes poètes préférés.

Baudelaire et Alfred de Vigny.

Mes héros dans la fiction.

Hamlet.

Mes héroïnes dans la fiction.

Phèdre. Bérénice.

Mes compositeurs préférés.

Beethoven, Wagner, Shuhmann (sic).

Mes peintres favoris.

Léonard de Vinci, Rembrandt.

Mes héros dans la vie réelle.

M. Darlu, M. Boutroux.

Mes héroïnes dans l’histoire.

Cléopâtre.

Mes noms favoris.

Je n’en ai qu’un à la fois.

Ce que je déteste par dessus tout.

Ce qu’il y a de mal en moi.

Caractères historiques que je méprise le plus.

Je ne suis pas assez instruit.

Le fait militaire que j’admire le plus.

Mon volontariat !

La réforme que j’estime le plus.

[Proust n’a rien répondu]

Le don de la nature que je voudrais avoir.

La volonté, et des séductions.

Comment j’aimerais mourir.

Meilleur – et aimé.

État présent de mon esprit.

L’ennui d’avoir pensé à moi pour répondre à toutes ces questions.

Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence.

Celles que je comprends.

Ma devise.

J’aurais trop peur qu’elle me porte malheur.

 
   
 
   
   
 
   
   
 
   
   
 
   
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
   
 
   
   
 
   
   
 
   
   
 
   
   
 
   


   
G. Simenon (1903-1989), Mes dictées, « Au-delà de ma porte-fenêtre » (1978), dimanche 21 novembre 1976 ; Presses de la Cité, « Omnibus » : Tout Simenon, t. 26, 1993, p. 1458-1459.
   
Album Proust, par Pierre Clarac et André Ferré, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 88-91.
   
Album Proust, par Pierre Clarac et André Ferré, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 119-121.
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