![]() |
Dernière édition MMV - Canicvla - Midi | ![]() |
![]() |
||
![]() |
/ Questionnaire
/ Menu / Seuil
![]() |
|
Qui je suis ? |
Tout un chacun,
entre nous, se dit bien : Je me connaîs.
C’est, pensons-nous, l’évidence même : il suffit de
cogiter un peu. Cogito ergo sum.
Je, en somme. Et si, au lieu d’un point, facile à faire, nous mettions un chapeau sur le î, non pas de peur que le ciel ne nous tombe sur la tête, mais parce que nous portons masque et chapeau. Carnaval de l’Être : nous tous, nus tant que nous sommes, nous avançons encore masqués. Aussi, quitte à jouer le grand Je, allons-y gaiement pour le grand déballage ! Inversons le circonflexe sur le î : mettons que moi, C’est moY, comme toi c’est toi. Tautologie, bifurcation. Vous me suivez, je pense ? Non pas ! Je suis perdu. Revenez donc sur vos pas... |
||||
Ne me demandez pas qui je suis
|
« – Eh quoi, vous imaginez-vous que je prendrais à écrire tant de peine et tant de plaisir, croyez-vous que je m’y serais obstiné, tête baissée, si je ne préparais – d’une main un peu fébrile – le labyrinthe où m’aventurer, déplacer mon propos, lui ouvrir des souterrains, l’enfoncer loin de lui-même, lui trouver des surplombs qui résument et déforment son parcours, où me perdre et apparaître finalement à des yeux que je n’aurai jamais plus à rencontrer. Plus d’un, comme moi sans doute, écrivent pour n’avoir plus de visage. Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même : c’est une morale d’état civil ; elle régit nos papiers. Qu’elle nous laisse libres quand il s’agit d’écrire. » | |||
Un miroir. |
« Que
mimporte si chacun médit sur mon compte, Ou si lon multiplie par cent un défaut que je nai pas. Je suis un miroir : quiconque me regarde Y trouve tout le bien et tout le mal quil me présente. » |
|||
|
||||
Une âme. |
« Je suis une âme. Je sens bien que ce que je rendrai à la tombe, ce nest pas moi. Ce qui est moi ira ailleurs. » | |||
|
||||
Je est un autre. |
« Maintenant, je mencrapule le plus possible. Pourquoi ?
Je veux être poète, et je travaille à me rendre
Voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais
presque vous expliquer. Il sagit darriver à linconnu
par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances
sont énormes, mais il faut être fort, être né
poète, et je me suis reconnu poète. Ce nest pas
du tout ma faute. Cest faux de dire : Je pense : on
devrait dire on me pense. Pardon du jeu de mots. | |
|||
Nous sommes des habitudes,
|
« [Hume] a fondé la première grande logique des relations, en montrant que toute relation (non seulement les « matters of fact », mais les relations d’idées) était extérieure à ses termes. Ainsi il constitue un monde de l’expérience extrêmement divers, suivant un principe d’extériorité des relations : des parties atomiques, mais avec des transitions, des passages, des « tendances » qui vont des unes aux autres. Ces tendances engendrent des habitudes. Mais n’est-ce pas la réponse à la question : Que sommes-nous ? Nous sommes des habitudes, rien d’autre que des habitudes, l’habitude de dire Moi… Peut-être n’y a-t-il pas plus surprenante réponse au problème du Moi. » | |||
|
||||
Je ne suis pas un être nécessaire. |
« Je sens que je puis navoir point été, car le moi consiste dans ma pensée ; donc moi qui pense naurais point été, si ma mère eût été tuée avant que jeusse été animé : donc je ne suis pas un être nécessaire. Je ne suis pas aussi éternel ni infini, mais je vois bien quil y a dans la nature un être nécessaire, éternel et infini. » | |||
Le symbole de la perfection : je suis un porc suprême. |
« Le symbole de la perfection est un porc. Le porc avance jésuistiquement mais il ne recule jamais au milieu des ordures de notre époque. Je suis un porc suprême. » | |||
Rien que… |
« Je sais que je ne suis rien que riennerie. » | |||
|
||||
Un type prodigieux ! |
« Lhomme devrait se demander : Que suis-je ? et se répondre Rien. Mais il se demande : Qui suis-je ? et se répond : un type prodigieux qui a découvert quil nétait rien. » | |||
|
||||
Rien donc… |
« Quand Monique,
que je connais bien, entre dans la pièce où je suis et,
marchant droit devant elle, se comporte comme si elle ne me voyait pas,
comme si je nexistais pas, je me sens nié. Plus que blessé,
nié. Ni vu, ni connu. Je me retiens de mécrier :
jexiste ! Pourtant ni vu ni connu, cela peut être délicieux. Charme de lincognito. Aller inconnu parmi des inconnus. Personne pour vous scruter, pour attendre, exiger de vous quoi que ce soit. Cest calme et excitant : je ne suis rien, tout est possible. » |
|||
|
||||
Encore rien. |
« On nest rien avant trente ans, trente-cinq ans, et je maperçois quil faut toujours reculer la date. » | |||
![]() |
|
|||
Malheur à moi, je suis nuance. |
Cocteau aimait citer ce mot de Nietzsche
auquel il souscrivait pour son propre compte : « Malheur
à moi, je suis nuance ! » |
|||
Je ne sais pas ce que je suis, je ne suis pas ce que je sais. |
« Un passant qui, presque au terme de la route, demande encore son chemin. Un voyageur qui ne peut faire halte avant la nuit tombée, et que l’étonnement de vivre maintient éveillé. Je crains de trop ressembler à ce vers d’Angélus Silésius : Je ne sais pas ce que je suis, je ne suis pas ce que je sais. » | |||
Si je sais ! |
Cest
le neveu de Rameau qui parle : « Que le diable memporte si je sais au fond ce que je suis. En général, jai lesprit rond comme une boule, et le caractère franc comme losier ; jamais faux, pour peu que jaie intérêt dêtre vrai, jamais vrai pour peu que jaie intérêt dêtre faux. Je dis les choses comme elles me viennent : sensées, tant mieux ; impertinentes, on ny prend pas garde. Juse en plein de mon franc-parler. Je nai pensé de ma vie, ni avant que de dire, ni en disant, ni après avoir dit. Aussi je noffense personne. » |
|||
![]() |
|
|||
Tu veux vraiment savoir ? |
« Si tu veux savoir qui je suis, consulte un dictionnaire et toutes les encyclopédies. Noublie pas les signets et les renvois. Feuillette. Humecte ton doigt. Il ne faut pas sauter une page. Tu finiras par lire tous les livres qui sont dans les grandes bibliothèques des nations et tu finiras par y faire ton trou comme le ver dans la pâte du papier. Tu en mangeras, car il ny a pas deux pages qui aient la même saveur. Cela te mettra en appétit. Tu voudras savoir. Savoir. Quoi ? Larbre de la Science, comme ceux de cette forêt ou le figuier sous lequel radote le vieux sage des Indes, na pas deux feuilles identiques. Tu peux toujours chercher. Il ny a pas dunité. Munis-toi de loupes, de verres grossissants, de réactifs chimiques, dun révélateur, dun atlas, dun herbier, je te défie de trouver deux feuilles pareilles, deux palmes semblables. Deux brins dherbe, deux pensées, deux étoiles. Deux verbes synonymes. Dans aucune langue du monde. Il ny a pas dabsolu. Il ny a donc pas de vérité, sinon la vie absurde qui remue ses oreilles dâne. » | |||
|
![]() |
|
M. Foucault (1926-1984), L’Archéologie du savoir, I : « Introduction » ; Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1969, p. 28. | |
|
|
O. Khayyâm (1021 ? 1122 ?), Robâiyât, 528 ; Imprimerie nationale Éditions, 1992, p. 146. |
|
V. Hugo (1802-1885), Le Tas de pierres (portefeuille 1860-1865), "Explication de la vie et de la mort" ; C.F.L. : uvres complètes, t. XII, 1969, p. 1084. | |
A. Rimbaud (1854-1891), Lettres, à Georges Izambard, Charleville, 13 mai 1871 ; Arléa : uvre-Vie, Édition du centenaire, 1991, p. 183-184. |
|
G. Deleuze (1925-1995), Deux régimes de fous : textes et entretiens (1975-1995), 56 : « Préface pour l’édition américaine de Empirisme et subjectivité », 1991 ; Minuit, 2003, p. 342. | |
B. Pascal (1623-1662), Pensées, § 125 (Br. 469, Laf. 135) ; Gallimard, « Pléiade » : uvres complètes, t. II, 2000, p. 583. | |
S. Dalí (1904-1989), Pensées et anecdotes, chap. I : « Pensées » ; Le Cherche Midi, « Les pensées », 1995, p. 21. | |
P. Claudel (1868-1955), Journal, août 1935 ; Gallimard, « Pléiade », t. II, 1969, p. 104. |
|
J. Cocteau (1889-1963), Le passé défini : journal, 13 février 1954 ; Gallimard, « NRF », t. III, 1989, p. 55. |
|
J.-B. Pontalis, Fenêtres, « Le nom dune fleur », Gallimard, « NRF », 2000, p. 47. | |
J. Renard (1864-1910), Journal, 19 février 1895 ; Gallimard, « Pléiade », 1965, p. 264. | |
J. Cocteau (1889-1963), « Jean Cocteau », entretien avec Christine Garnier pour un livre sur les confidences décrivains, 21 mai 1954 ; in Le passé défini : journal, « Annexes », xiv, Gallimard, « NRF », t. III, 1989, p. 356. | |
F. W. Nietzsche (1844-1900), Ecce homo, ou comment on devient ce quon est (1888), « Pourquoi jécris de si bons livres », § 4 : Ich halte diese Rasse nicht aus, mit der man immer in schlechter Gesellschaft ist, die keine Finger für nuances hat wehe mir ! ich bin eine nuance , die keinen esprit in den Füssen hat und nicht einmal gehen kann Die Deutschen haben zuletzt gar keine Füße, sie haben bloß Beine Den Deutschen geht jeder Begriff davon ab, wie gemein sie sind, aber das ist der Superlativ der Gemeinheit, sie schämen sich nicht einmal, bloß Deutsche zu sein Sie reden über Alles mit, sie halten sich selbst für entscheidend, ich fürchte, sie haben selbst über mich entschieden Mein ganzes Leben ist der Beweis de rigueur für diese Sätze. Umsonst, dass ich in ihm nach einem Zeichen von Takt, von délicatesse gegen mich suche. Von Juden ja, noch nie von Deutschen. Robert Laffont, « Bouquins » : uvres, t. II, 1993, p. 1189. | |
C. Roy (1915-1997), L’Étonnement du voyageur (1987-1989), « 1987 : Automne », “L’étonnement”, 6 octobre 1987 ; Gallimard, « NRF », 1990, p. 13. | |
D. Diderot (1713-1784), Le Neveu de Rameau ; Gallimard, « Pléiade » : Contes et romans, 2004, p. 623. | |
B. Cendrars (1887-1961), Aujourdhui (1931), Troisième partie : « Éloge de la vie dangereuse », Praia Grande, 15 mars 1926 ; Denoël : uvres complètes, t. IV, 1962, p. 155. | |