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  Qui je suis ?  

  Tout un chacun, entre nous, se dit bien : Je me connaîs. C’est, pensons-nous, l’évidence même : il suffit de cogiter un peu. Cogito ergo sum. Je, en somme.
Et si, au lieu d’un point, facile à faire, nous mettions un chapeau sur le î, non pas de peur que le ciel ne nous tombe sur la tête, mais parce que nous portons masque et chapeau. Carnaval de l’Être : nous tous, nus tant que nous sommes, nous avançons encore masqués.
Aussi, quitte à jouer le grand Je, allons-y gaiement pour le grand déballage  ! Inversons le circonflexe sur le î : mettons que moi, C’est moY, comme toi c’est toi. Tautologie, bifurcation.
– Vous me suivez, je pense ?
– Non pas ! Je suis perdu.
– Revenez donc sur vos pas...
         
Ne me demandez pas qui je suis
et ne me dites pas de rester le même :
c’est une morale d’état civil ;
elle régit nos papiers
.
– Qu’elle nous laisse libres quand il s’agit d’écrire !
  « – Eh quoi, vous imaginez-vous que je prendrais à écrire tant de peine et tant de plaisir, croyez-vous que je m’y serais obstiné, tête baissée, si je ne préparais – d’une main un peu fébrile – le labyrinthe où m’aventurer, déplacer mon propos, lui ouvrir des souterrains, l’enfoncer loin de lui-même, lui trouver des surplombs qui résument et déforment son parcours, où me perdre et apparaître finalement à des yeux que je n’aurai jamais plus à rencontrer. Plus d’un, comme moi sans doute, écrivent pour n’avoir plus de visage. Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même : c’est une morale d’état civil ; elle régit nos papiers. Qu’elle nous laisse libres quand il s’agit d’écrire. »  
         
Un miroir.
  « Que m’importe si chacun médit sur mon compte,
Ou si l’on multiplie par cent un défaut que je n’ai pas.
Je suis un miroir : quiconque me regarde
Y trouve tout le bien et tout le mal qu’il me présente. »
 
 
 
     
Une âme.
  « Je suis une âme. Je sens bien que ce que je rendrai à la tombe, ce n’est pas moi. Ce qui est moi ira ailleurs. »  
 
 
     
Je est un autre.
 

« Maintenant, je m’encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me rendre Voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n’est pas du tout ma faute. C’est faux de dire : Je pense : on devrait dire on me pense. – Pardon du jeu de mots. |
Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et Nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu’ils ignorent tout à fait ! »

 
         
Nous sommes des habitudes,
rien d’autre que des habitudes, l’habitude de dire Moi

Peut-être n’y a-t-il pas plus surprenante réponse au problème du Moi.
  « [Hume] a fondé la première grande logique des relations, en montrant que toute relation (non seulement les « matters of fact », mais les relations d’idées) était extérieure à ses termes. Ainsi il constitue un monde de l’expérience extrêmement divers, suivant un principe d’extériorité des relations : des parties atomiques, mais avec des transitions, des passages, des « tendances » qui vont des unes aux autres. Ces tendances engendrent des habitudes. Mais n’est-ce pas la réponse à la question : Que sommes-nous ? Nous sommes des habitudes, rien d’autre que des habitudes, l’habitude de dire Moi… Peut-être n’y a-t-il pas plus surprenante réponse au problème du Moi. »  
 
 
     
Je ne suis pas un être nécessaire.
  « Je sens que je puis n’avoir point été, car le moi consiste dans ma pensée ; donc moi qui pense n’aurais point été, si ma mère eût été tuée avant que j’eusse été animé : donc je ne suis pas un être nécessaire. Je ne suis pas aussi éternel ni infini, mais je vois bien qu’il y a dans la nature un être nécessaire, éternel et infini. »  
         
Le symbole de la perfection : je suis un porc suprême.
  « Le symbole de la perfection est un porc. Le porc avance jésuistiquement mais il ne recule jamais au milieu des ordures de notre époque. Je suis un porc suprême. »  
         
Rien que
  « Je sais que je ne suis rien que riennerie. »  
 
 
     
Un type prodigieux !
  « L’homme devrait se demander : Que suis-je ? et se répondre Rien. Mais il se demande : Qui suis-je ? et se répond : un type prodigieux qui a découvert qu’il n’était rien. »  
 
 
     
Rien donc
  « Quand Monique, que je connais bien, entre dans la pièce où je suis et, marchant droit devant elle, se comporte comme si elle ne me voyait pas, comme si je n’existais pas, je me sens nié. Plus que blessé, nié. Ni vu, ni connu. Je me retiens de m’écrier : j’existe !
Pourtant ni vu ni connu, cela peut être délicieux. Charme de l’incognito. Aller inconnu parmi des inconnus. Personne pour vous scruter, pour attendre, exiger de vous quoi que ce soit. C’est calme et excitant : je ne suis rien, tout est possible. »
 
 
 
     
Encore rien.
  « On n’est rien avant trente ans, trente-cinq ans, et je m’aperçois qu’il faut toujours reculer la date. »  
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Malheur à moi, je suis nuance.
 

Cocteau aimait citer ce mot de Nietzsche auquel il souscrivait pour son propre compte : « Malheur à moi, je suis nuance ! »
« Je ne supporte pas le voisinage de cette race, avec laquelle on est toujours en très mauvaise compagnie, qui ne possède aucun doigté pour la « nuance » – malheur à moi, je suis « nuance » –, de cette race qui ne possède aucun « esprit » dans les pieds et qui ne sait même pas marcher… En définitive, les Allemands n’ont pas du tout de pieds, ils n’ont que des jambes… Les Allemands n’ont aucune idée à quel point ils sont vulgaires, cependant c’est le superlatif de la vulgarité – ils n’ont même pas honte de n’être que des Allemands… Ils veulent dire leur mot à propos de tout, ils considèrent eux-mêmes leur opinion comme décisive, je crains même fort qu’ils n’aient même décidé de moi… Toute ma vie est la preuve « de rigueur » de ces affirmations. C’est en vain que j’ai cherché une marque de tact, de « délicatesse » à mon égard. Je l’ai trouvée chez des Juifs, jamais chez des Allemands… »

 
         
Je ne sais pas ce que je suis, je ne suis pas ce que je sais.
  « Un passant qui, presque au terme de la route, demande encore son chemin. Un voyageur qui ne peut faire halte avant la nuit tombée, et que l’étonnement de vivre maintient éveillé. Je crains de trop ressembler à ce vers d’Angélus Silésius : Je ne sais pas ce que je suis, je ne suis pas ce que je sais. »  
         
Si je sais !
  C’est le neveu de Rameau qui parle :
« Que le diable m’emporte si je sais au fond ce que je suis. En général, j’ai l’esprit rond comme une boule, et le caractère franc comme l’osier ; jamais faux, pour peu que j’aie intérêt d’être vrai, jamais vrai pour peu que j’aie intérêt d’être faux. Je dis les choses comme elles me viennent : sensées, tant mieux ; impertinentes, on n’y prend pas garde. J’use en plein de mon franc-parler. Je n’ai pensé de ma vie, ni avant que de dire, ni en disant, ni après avoir dit. Aussi je n’offense personne. »
 
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Tu veux vraiment savoir ?
  « Si tu veux savoir qui je suis, consulte un dictionnaire et toutes les encyclopédies. N’oublie pas les signets et les renvois. Feuillette. Humecte ton doigt. Il ne faut pas sauter une page. Tu finiras par lire tous les livres qui sont dans les grandes bibliothèques des nations et tu finiras par y faire ton trou comme le ver dans la pâte du papier. Tu en mangeras, car il n’y a pas deux pages qui aient la même saveur. Cela te mettra en appétit. Tu voudras savoir. Savoir. Quoi ? L’arbre de la Science, comme ceux de cette forêt ou le figuier sous lequel radote le vieux sage des Indes, n’a pas deux feuilles identiques. Tu peux toujours chercher. Il n’y a pas d’unité. Munis-toi de loupes, de verres grossissants, de réactifs chimiques, d’un révélateur, d’un atlas, d’un herbier, je te défie de trouver deux feuilles pareilles, deux palmes semblables. Deux brins d’herbe, deux pensées, deux étoiles. Deux verbes synonymes. Dans aucune langue du monde. Il n’y a pas d’absolu. Il n’y a donc pas de vérité, sinon la vie absurde qui remue ses oreilles d’âne. »  
 
 
     


   
M. Foucault (1926-1984), L’Archéologie du savoir, I : « Introduction » ; Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1969, p. 28.
 

O. Khayyâm (1021 ? – 1122 ?), Robâiyât, 528 ; Imprimerie nationale Éditions, 1992, p. 146.

   
V. Hugo (1802-1885), Le Tas de pierres (portefeuille 1860-1865), "Explication de la vie et de la mort" ; C.F.L. : Œuvres complètes, t. XII, 1969, p. 1084.
   

A. Rimbaud (1854-1891), Lettres, à Georges Izambard, Charleville, 13 mai 1871 ; Arléa : Œuvre-Vie, Édition du centenaire, 1991, p. 183-184.

   
G. Deleuze (1925-1995), Deux régimes de fous : textes et entretiens (1975-1995), 56 : « Préface pour l’édition américaine de Empirisme et subjectivité », 1991 ; Minuit, 2003, p. 342.
   
B. Pascal (1623-1662), Pensées, § 125 (Br. 469, Laf. 135) ; Gallimard, « Pléiade » : Œuvres complètes, t. II, 2000, p. 583.
   
S. Dalí (1904-1989), Pensées et anecdotes, chap. I : « Pensées » ; Le Cherche Midi, « Les pensées », 1995, p. 21.
   

P. Claudel (1868-1955), Journal, août 1935 ; Gallimard, « Pléiade », t. II, 1969, p. 104.

   

J. Cocteau (1889-1963), Le passé défini : journal, 13 février 1954 ; Gallimard, « NRF », t. III, 1989, p. 55.

   
J.-B. Pontalis, Fenêtres, « Le nom d’une fleur », Gallimard, « NRF », 2000, p. 47.
   
J. Renard (1864-1910), Journal, 19 février 1895 ; Gallimard, « Pléiade », 1965, p. 264.
   
J. Cocteau (1889-1963), « Jean Cocteau », entretien avec Christine Garnier pour un livre sur les confidences d’écrivains, 21 mai 1954 ; in Le passé défini : journal, « Annexes », xiv, Gallimard, « NRF », t. III, 1989, p. 356.
F. W. Nietzsche (1844-1900), Ecce homo, ou comment on devient ce qu’on est (1888), « Pourquoi j’écris de si bons livres », § 4 : Ich halte diese Rasse nicht aus, mit der man immer in schlechter Gesellschaft ist, die keine Finger für nuances hat – wehe mir ! ich bin eine nuance –, die keinen esprit in den Füssen hat und nicht einmal gehen kann… Die Deutschen haben zuletzt gar keine Füße, sie haben bloß Beine… Den Deutschen geht jeder Begriff davon ab, wie gemein sie sind, aber das ist der Superlativ der Gemeinheit, – sie schämen sich nicht einmal, bloß Deutsche zu sein… Sie reden über Alles mit, sie halten sich selbst für entscheidend, ich fürchte, sie haben selbst über mich entschieden… – Mein ganzes Leben ist der Beweis de rigueur für diese Sätze. Umsonst, dass ich in ihm nach einem Zeichen von Takt, von délicatesse gegen mich suche. Von Juden ja, noch nie von Deutschen. – Robert Laffont, « Bouquins » : Œuvres, t. II, 1993, p. 1189.
   
C. Roy (1915-1997), L’Étonnement du voyageur (1987-1989), « 1987 : Automne », “L’étonnement”, 6 octobre 1987 ; Gallimard, « NRF », 1990, p. 13.
   
D. Diderot (1713-1784), Le Neveu de Rameau ; Gallimard, « Pléiade » : Contes et romans, 2004, p. 623.
   
B. Cendrars (1887-1961), Aujourd’hui (1931), Troisième partie : « Éloge de la vie dangereuse », Praia Grande, 15 mars 1926 ; Denoël : Œuvres complètes, t. IV, 1962, p. 155.
   
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