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« Ma mère nous faisait
taire. Elle s’acharnait sur le mot qu’elle avait sur le bout de la langue
et qu’elle contraindrait d’une manière ou d’une autre à revenir. Tétanisée,
elle s’efforçait de repêcher au fond d’elle-même une étymologie. Masquée,
crispée sur sa recherche, elle essayait de reproduire une dérivation philologique,
restituant les étapes en émettant des sons qui paraissaient invraisemblables.
Elle disait « sykolon », elle disait « ficato »
et à la suite d’une longue série de borborygmes qui bouleversaient son
visage, au terme d’une longue série de modifications inintelligibles,
grecque, romaine, impériale, mérovingienne, italienne, picarde, elle arrivait
à « foie ». Nous étions médusés. Elle remontait les mots du
fond des âges. Maman poussait des grognements plus enfantins et plus hétéroclites
que nous n’étions capables d’en faire naître. Elle était magicienne. Elle
disait « homo » et, ses lèvres se contractant, sa bouche
se dilatant, la forme s’accentuant, on débouchait sur “on”. Elle commençait
par la chose – « rem » – on arrivait à “rien”. » |