Le menu de Thélème Dernière édition MMV - Canicvla - Midi Le menu de Thélème
Retour à rien‡‡ Seuil \ Menu \ Rien \
Bas de page Rien / MenuSeuil ‡‡ Vers rien
  Être  

         
À chaque instant, nous sommes libres de dire et de faire des bêtises, mon pauvre ami, et nous en faisons, ce n’est rien de le dire
  « À chaque instant, nous sommes libres de dire et de faire des bêtises, mon pauvre ami, et nous en faisons, ce n’est rien de le dire. Nous sommes libres de tenir les propos que nous voulons, hélas, c’est-à-dire d’apporter, d’introduire les collaborations que nous voulons. Nous sommes libres de dire et de faire toutes les sottises, que nous voulons. Et nous en voulons beaucoup. »  
         
Un laboureur n’est rien ; un homme qui cultive, qui bâtit, qui travaille utilement, n’est rien. Un gendarme est quelque chose ; un préfet est beaucoup ; Bonaparte était tout.
  « Chacun maintenant cherche à se placer, ou, s’il est placé, à se pousser. On veut être quelque chose. Dès qu’un jeune homme sait faire la révérence, riche ou non, peu importe, il se met sur les rangs ; il demande des gages, en tirant un pied derrière l’autre : cela s’appelle se présenter ; tout le monde se présente pour être quelque | chose. On est quelque chose en raison du mal qu’on peut faire. Un laboureur n’est rien ; un homme qui cultive, qui bâtit, qui travaille utilement, n’est rien. Un gendarme est quelque chose ; un préfet est beaucoup ; Bonaparte était tout. Voilà les gradations de l’estime publique, l’échelle de la considération suivant laquelle chacun veut être Bonaparte, sinon préfet, ou bien gendarme. Telle est la direction générale des esprits, la même depuis longtemps, et non prête à changer. Sans cela, qui peut dire jusqu’où s’élancerait le génie de l’invention ? où atteindrait avec le temps l’industrie humaine, à laquelle Dieu sans doute voulut mettre des bornes, en la détournant vers cet art de se faire petit pour complaire, de s’abaisser, de s’effacer devant un supérieur, de s’ôter à soi-même tout mérite, toute vertu, de s’anéantir, seul moyen d’être quelque chose ? »  
         
Je ne suis pas un mouton, donc je ne suis rien.
  « Stendhal disait : Je ne suis pas un mouton, donc je ne suis rien. Maintenant on pourrait dire : Je ne suis pas un escroc, donc je ne suis rien. »  
         
Jusqu’à quel âge n’est-on rien ?
  « On n’est rien avant trente ans, trente-cinq ans, et je m’aperçois qu’il faut toujours reculer la date. »  
         
Tu seras ce que tu dois être, ou tu ne seras rien
  « Pourquoi écrivez-vous ? – Parce que je ne saurais pas ne pas écrire sans éprouver ce sentiment particulier d’infortune qu’engendrent l’indolence et l’infidélité. Je crois mieux discourir et mieux inventer que d’autres écrivains mais je sais aussi que presque tous écrivent mieux que moi, que presque tous sont servis par une facilité spontanée et négligente qui me fait défaut et à laquelle je ne parviendrai ni par la méditation ni par le travail, l’indifférence ou le hasard magnifique. J’écris, cependant, car il n’est pas pour moi d’autre destin. (Je sais cela depuis ma plus tendre enfance.) Il ne me servirait de rien, pour mon salut, de gagner des batailles comme mon bisaïeul le colonel Suárez, ni de mourir sur la Croix comme le Rédempteur, ni de trahir celui-ci pour trente deniers, comme le fit Judas l’Iscariote, dont le destin mystérieux était de trahir. Tout homme a son destin, au-delà de l’éthique ; ce destin est son caractère (il y a deux mille cinq cents ans qu’Héraclite le proclama en Asie Mineure) ; ce destin, | c’est l’éthique secrète de l’homme ; c’est ainsi que j’interprète l’apophtegme qui figure en tête de chacun des quatre volumes de l’Histoire de San Martín : « Tu seras ce que tu dois être, sinon tu ne seras rien ». (Mon père discutait avec moi de l’interprétation de cette phrase ; il prétendait que San Martín avait voulu dire : Tu seras ce que tu dois être – tu seras un gentilhomme, un catholique, un Argentin, un membre du Jockey Club, un admirateur du président Uriburú, un admirateur des développements champêtres de Quiros – ou tu ne seras rien – tu seras un Israélite, un anarchiste, un simple rustre, un premier adjoint ; la commission nationale de la Culture ignorera tes livres, et l’insigne Rodriguez Larreta ne t’enverra pas les siens, enrichis d’une signature autographe… Je soupçonne mon père de s’être trompé.) »  
         
Je ne suis rien que
  « Je sais que je ne suis rien que riennerie. »  
         
Je suis un type prodigieux qui a découvert qu’il n’était rien
  « L’homme devrait se demander : Que suis-je ? et se répondre Rien. Mais il se demande : Qui suis-je ? et se répond : un type prodigieux qui a découvert qu’il n’était rien. »  
         
C’est calme et excitant : je ne suis rien, tout est possible.
  « Quand Monique, que je connais bien, entre dans la pièce où je suis et, marchant droit devant elle, se comporte comme si elle ne me voyait pas, comme si je n’existais pas, je me sens nié. Plus que blessé, nié. Ni vu, ni connu. Je me retiens de m’écrier : j’existe !
Pourtant ni vu ni connu, cela peut être délicieux. Charme de l’incognito. Aller inconnu parmi des inconnus. Personne pour vous scruter, pour attendre, exiger de vous quoi que ce soit. C’est calme et excitant : je ne suis rien, tout est possible. »
 
 
 
     
 
 
     
 
     
 
 
     
 
     
 
 
     
 
     
 
 
     
 
     
 
 
     
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     
 
 
     

   
C. Péguy (1873-1914), « Clio : dialogue de l’histoire et de l’âme païenne » (1913), posthume ; Gallimard, « Pléiade » : Œuvres en prose complètes, t. iii, 1992, p. 1014.
   
P.-L. Courier (1772-1825), Lettres au rédacteur du « Censeur » (1819-1820), « Lettre II », 22 août 1819 ; Gallimard, « Pléiade » : Œuvres complètes, 1951, p. 13-14.
   
J. Cocteau (1889-1963), Le passé défini : journal, 22 octobre 1953 ; Gallimard, « NRF », t. ii, 1985, p. 300.
   
J. Renard (1864-1910), Journal, 19 février 1895 ; Gallimard, « Pléiade », 1965, p. 264.
   
J. L. Borges (1899-1986), « Pourquoi écrivez-vous ? », extrait d’une enquête littéraire, 1945 ; Gallimard, « Pléiade » : Œuvres complètes, t. i, 1993, p. 1246-1247.
   
P. Claudel (1868-1955), Journal, août 1935 ; Gallimard, « Pléiade », t. ii, 1969, p. 104.
   
J. Cocteau (1889-1963), Le passé défini : journal, 13 février 1954 ; Gallimard, « NRF », t. iii, 1989, p. 55.
   
J.-B. Pontalis, Fenêtres, « Le nom d’une fleur », Gallimard, « NRF », 2000, p. 47.
   
Haut de page