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« Quand j’étais en province au lycée, en ma
première philosophie, un professeur âgé, blanc, honorable, très bon, très
doux, très clair, très grave, à la parole ancienne, aux yeux profondément
tristes et doux, nous enseignait. Nous lui devons plus pour nous avoir
donné l’exemple d’une longue et sérieuse vie universitaire, que pour nous
avoir préparés patiemment au baccalauréat. Il traitait simplement et noblement
devant nous les questions du programme. L’immortalité de l’âme était sans
doute au programme. Il traita devant nous de l’immortalité de l’âme. Il
ne s’agissait de rien moins que de savoir si son âme à lui, à lui qui
promenait régulièrement son corps en long et en long dans la classe, et
qui plaçait régulièrement le pied de son corps sur les carreaux en brique
de la classe, – donc il s’agissait de savoir si son âme à lut était immortelle
ou mortelle ; et il ne s’agissait pas moins de savoir si nos âmes
à nous, qui utilisions diligemment les mains de nos corps à copier fidèlement
le cours, – il ne s’agissait pas moins de savoir si nos âmes à nous étaient
immortelles ou mortelles. Ce fut un grand débat. Le professeur équitable
nous présenta les raisons par quoi nous pouvons penser que les âmes humaines
sont immortelles ; puis il nous présenta les raisons par quoi nous
pouvons à la rigueur penser que nos âmes humaines sont mortelles :
et dans ce cours de philosophie austère et doux, les secondes raisons
ne paraissaient pas prévaloir sur les premières. Le professeur équitable
penchait évidemment pour la solution de l’espérance. Tout l’affectueux
respect que nous lui avons gardé ne nous empêchait pas alors de réagir.
Continuant à protester contre la croyance catholique où l’on nous avait
élevés, commençant à protester contre l’enseignement du lycée, où nos
études secondaires finissaient, préoccupés surtout de n’avoir pas peur,
et de ne pas avoir l’air d’avoir peur, nous réagissions contre la complaisance.
Nous étions durs. Nous disions hardiment que l’immortalité de l’âme, c’était
de la métaphysique. Depuis, je me suis aperçu que la mortalité de l’âme
était aussi de la métaphysique. Aussi je ne dis plus rien. Le souci que
j’avais de l’immortalité individuelle, et qui selon les événements de
ma vie a beaucoup varié, me reste. Mais l’attention que je donnais à ce
souci a beaucoup diminué depuis que le souci de la mortalité, de la survivance
et de l’immortalité sociale a grandi en moi. Pour l’immortalité aussi,
je suis devenu collectiviste. »
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