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Dernière édition MMV - Ours - Minuit  
Cadre  
       
 

 

       
Le cadre : il faut un plateau de théâtre pour qu’une scène soit aussi une autre scène
  « Combien de fois ai-je entendu des analystes en supervision me dire : j’ai maintenu le cadre. À savoir : je n’ai pas cédé sur le nombre et le rythme des séances, sur les demandes de changement d’horaire, le paiement des séances manquées pour un motif « valable », sur la sollicitation de conseils, etc.
Maintenir le cadre, soit, encore qu’un peu de souplesse me paraisse parfois souhaitable. Ne pas confondre l’exigence analytique – ce qui permet que l’analyse soit opérante, que se délimite un « champ opératoire » – avec la rigidité obsessionnelle. Je connais des analystes qui n’osent pas changer un objet de place dans leur cabinet ou qui, s’il leur arrive d’avoir à répondre au téléphone, empruntent une voix qui se veut sans inflexion (ils ont tous la même, d’ailleurs, qu’on dirait venue d’outre-tombe : « Oui, je suis occupé »). Surtout | ne rien révéler, ne rien trahir de soi, comme si on ne révélait rien en se dissimulant.
Le cadre : condition nécessaire à coup sûr pour que la réalité psychique prenne toute la place, pour que l’analyse puisse imprimer du mouvement à la pensée, à la mémoire, à la parole. Il faut au peintre les limites d’une toile pour que l’illimité d’un paysage apparaisse, pour qu’une lampe ne soit pas seulement un objet, mais source infinie de lumière ; il faut un plateau de théâtre pour qu’une scène soit aussi une autre scène ; l’art de la photographie repose pour une bonne part sur la qualité du cadrage. Seul l’enclos du sommeil où les amarres sont rompues avec le monde extérieur autorise le rêve à s’éveiller et à se déployer en tous sens.
Condition nécessaire mais non suffisante : le cadre permet l’analyse, il ne la produit pas. Faire de son maintien, de sa permanence sa préoccupation principale, pourrait bien n’être pour l’analyste qu’une barrière de protection contre la peur d’être débordé (plus de bords, plus de bornes), de s’affronter à l’informe.
Peur symétrique chez certains patients. Le « maintien » du cadre est ce qui les tient. Qu’il soit si peu que ce soit modifié, et c’est en eux la crainte de l’effondrement. D’autres, au contraire, ne cessent de s’en prendre à lui, le dénoncent, l’attaquent. | Le cadre les tient eux aussi, mais dans l’autre sens du mot tenir ; il les enserre comme Gulliver est ligoté à Lilliput : signe d’une emprise, d’un assujettissement, d’une « passivation » intolérable.
Ne pas chercher à donner une définition générale du cadre. Sa signification varie pour chacun. Le plus souvent la question du cadre n’est pas posée. José Bleger l’a noté : « Il sert de soutien, de châssis mais nous ne pouvons le voir que lorsqu’il se modifie ou se rompt. Le toujours-là n’est pas perçu. »
Que représente ce toujours-là non perçu ? Paradoxe : pourquoi avons-nous besoin de cette permanence pour qu’en nous ça « bouge », ça change de place ? »
       
     
       
     
       
     
       
     
       
 
   
       
       

 

   
J.-B. Pontalis, Fenêtres, « Cadrer », Gallimard, « NRF », 2000, p. 82-84.
   
 
   
 
   
 
   
 
   
 
   
   
   
   
   

 

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