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  Quiproquo  

 

  L’expression latine qui pro quo signifie prendre « un quoi pour un ce que » et désigne, au théâtre, une situation de méprise dans laquelle un personnage est pris pour un autre. C’est un ressort traditionnel du comique, et parfois du tragique (Œdipe).
         
 
Quiproquo interne, externe, mixte.
  Le quiproquo peut être interne à la pièce lorsque nous voyons X prendre Y pour Z.  
      Il peut aussi être externe à la pièce, lorsque le spectateur confond X avec Y.  
      Il peut être mixte lorsque le spectateur, tout comme un personnage sur scène, prend X pour Y.  
         
Le quiproquo, qui assure à chacun la victoire par l’établissement ironique d’une symétrie rappelant un jeu de miroir où le reflet devient aussi réel que l’objet, ne vaut pas qu’au théâtre
 

« La double méprise. – Dans une controverse orale, le dosage de la parole et du silence est un art. Celui qui parle trop semble douter du bien-fondé de ses raisons. Occupant lourdement le terrain, il laisse au contradicteur l’avantage de la réplique acerbe, du bon mot dévastateur qui ébranlera l’édifice rhétorique surchargé d’arguments et empêtré de ratiocinations. Personnellement, confronté à un discoureur – et dieu sait qu’on en croise partout, de ces péroraisonneurs de comptoir –, je dégage le terrain au premier échange. Quitte à passer pour pusillanime, je préfère de beaucoup me renfrogner dans l’attitude de l’auditeur paralysé par le sentiment de son infériorité, car je sais que mon silence est un leurre, qu’il masque ma liberté d’esprit et que je peux, à mon aise, transformer en personnage le beau parleur. Cette ruse mentale manque de | loyauté. Mais elle est le prix tactique à payer face aux pachydermes de la controverse, qui vous écrabouillent sans ménagement sous prétexte qu’ils ont raison contre votre discrétion et vos répliques pincées. Laissons-les s’engager à découvert. Qu’ils ébranlent l’air de leurs discours ! Il n’est même pas besoin de parler pour retirer d’un coup le tapis de sous leurs pieds : souvent, un sourire suffit à les renverser sur le cul, dans une poussière d’arguties brisées. L’ironie est une manière de guérilla.
Voilà une situation dessinée selon un modèle un peu idéal. Elle suppose pas mal de fanfaronnade d’un côté, et presque trop de finesse de l’autre. La réalité n’est pas aussi académique. Contrairement à l’apparence, l’éléphant est un animal intelligent qui ne se risque pas en terrain inconnu. C’est ainsi que dans une discussion à jeun, il est rare qu’un partenaire débite son point de vue sans solliciter notre approbation. Un silence prolongé de notre part nous disqualifierait. L’usage de l’ironie à mauvais escient serait pire : il pointerait la prétention minable d’utiliser un moyen qui nous dépasse. Il faut donc retenir comme une sorte | d’obligation psychologique la nécessité de répliquer à intervalles plus ou moins réguliers dans une discussion dont l’enjeu nous importe, sauf si notre vis-à-vis est par trop au-dessous du niveau minimum souhaitable. Dans ce dernier cas, il n’y a aucune raison de se gêner pour lui éclater de rire au nez ou, ce qui revient presque au même, pour surenchérir dans le sérieux affecté. En choisissant la componction caricaturale, on ne choisit pas forcément la voie de la facilité. Le jeu peut s’éterniser, l’ennui gagner ; enfin, il faudra conclure sans pouffer. Il existe même un risque de jouer le rôle du dupeur dupé : comment décider qui, de lui ou de nous, s’est moqué de l’autre ? Le quiproquo, qui assure à chacun la victoire par l’établissement ironique d’une symétrie rappelant un jeu de miroir où le reflet devient aussi réel que l’objet, ne vaut pas qu’au théâtre. La double méprise constitue l’une des possibilités les plus excitantes du rapport à autrui. Combien de fois ne m’est-il pas arrivé de douter après coup d’avoir été le farceur de la farce, comme je l’avais cru d’abord, tout en songeant qu’à cet instant, l’autre se posait peut-être la même question que moi ? »

 
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         

   
G. Picard (1945-…), Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison (1999), « La double méprise » ; Librairie José Corti, 1999, p. 133-135.
   
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