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Dernière édition MMV - Ovrs - Minuit | |
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Rôle |
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Il faut jouer dûment notre rôle, mais comme rôle d’un personnage emprunté. |
« La plupart de nos vacations sont farcesques. Mundus universus exercet histrioniam [Le monde entier joue la comédie (Pétrone)]. Il faut jouer dûment notre rôle, mais comme rôle d’un personnage emprunté. Du masque et de l’apparence, il n’en faut pas faire une essence réelle, ni de l’étranger le propre. Nous ne savons pas distinguer la peau de la chemise. C’est assez de s’enfariner le visage, sans s’enfariner la poitrine. J’en vois qui se transforment et se transsubstantient en autant de nouvelles figures, et de nouveaux êtres, qu’ils entreprennent de charges : et qui se prélatent jusques au foie et aux intestins, et entraînent leur office jusques en leur garde-robe. Je ne puis leur apprendre à distinguer les bonnetades, qui les regardent, de celles qui regardent leur commission, ou leur suite, ou leur mule. Tantum se fortunæ permittunt, etiam ut naturam dediscant [Ils s’identifient tellement à leur charge qu’ils en oublient jusqu’à la nature (Quinte-Curce)]. Ils enflent et grossissent leur âme, et leur discours naturel, selon la hauteur de leur siège magistral. Le maire et Montaigne, ont toujours été deux, d’une séparation bien claire. Pour être avocat ou financier, il n’en faut pas méconnaître la fourbe qu’il y a en telles vacations. Un honnête homme n’est pas comptable du vice ou sottise de son métier, et ne doit pourtant en refuser l’exercice : c’est l’usage de son pays, et il y a du profit. Il faut vivre du monde, et s’en prévaloir tel qu’on le trouve. Mais le jugement d’un Empereur doit être au-dessus de son empire, et le voir et considérer comme accident étranger ; et lui doit savoir jouir de soi à part et se communiquer comme Jacques et Pierre, au moins à soi-même. » | |||
Quisque histrionam exercet : tout le monde joue un rôle. |
« Le lendemain, au point du jour et sans prévenir personne, je me rendis à Lodi où je fis l’acquisition de tous les livres qui convenaient à la belle Clémentine qui ne parlait que l’italien. J’achetais des traductions que je fus fort surpris de trouver à Lodi, qui, jusqu’alors, ne m’avait paru respectable que par son excellent fromage, connu dans toute l’Europe sous le nom de « parmesan ». Cet excellent fromage est de | Lodi et non de Parme, et le même jour je ne manquai pas d’ajouter un commentaire à l’article « parmesan » dans mon dictionnaire des fromages, ouvrage que j’avais entrepris et que j’ai abandonné dans la suite, ayant reconnu l’entreprise au-dessus de mes forces, de même que J.-J. Rousseau trouva au-dessus des siennes celui de la botanique. Ce grand homme bizarre et singulier avait, à cette époque, adopté le pseudonyme de « Renaud le Botaniste » : quisque histrionam exercet [Tout le monde joue un rôle]. Mais Rousseau, si éloquent, n’avait ni l’inclination de rire, ni le sublime talent de savoir faire rire. » | |||
Rôles et personnages. |
« Frappé par les couleurs
de plus en plus monotonement criardes et les dessins de plus en plus caricaturaux
des vêtements de plage, shorts, tee-shirts, etc. Les « vacances »,
institution récente, créent un vide qui demande à être rempli, la substitution
saisonnière d’un règne (relatif) de la liberté, au règne ordinaire de
la nécessité. Huit sur dix des spécimens de l’homo vacans ne vont pas en vacances pour se reposer, s’instruire ou s’aérer, mais pour être pendant trois ou quatre semaines un autre que ce qu’ils sont, pour se choisir un personnage et le jouer. D’où l’importance du déguisement ou du travestissement de vacances. On se déguise à Saint-Tropez en personnage de Tahitien, d’ondine, de fille-fleur, de musical comedy aquatique. On se déguise à Mykonos en Grec d’opérette. Au camping de Palatrou-les-Vagues, on quitte les vêtements de travail pour le short, le gilet à grosses mailles et la casquette blanche à grande visière. Cette année, on s’affuble de bermudas aux couleurs fluorescentes, vert véronèse et rouge groseille, et de tee-shirts où dix couleurs et des inscriptions stupides hurlent en langue free jazz. Une industrie est née, qui est plus proche du domaine des costumiers de théâtre que de celui de la confection urbaine. En vacances, on ne s’habille pas pour se vêtir, mais pour jouer un rôle. Les « vacanciers » travaillent à s’inventer un emploi, au sens que le mot a au théâtre, dès qu’ils cessent, provisoirement, d’être des employés. » |
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Jouer un rôle sur la scène du monde. |
« Aurait-on mieux développé mon intelligence en me jetant plus tôt dans l’étude ? J’en doute : ces flots, ces vents, cette solitude qui furent mes premiers maîtres, convenaient peut-être mieux à mes dispositions natives ; peut-être dois-je à ces instituteurs sauvages quelques vertus que j’aurais ignorées. La vérité est qu’aucun système d’éducation n’est en soi préférable à un autre système : les enfants aiment-ils mieux leurs parents aujourd’hui qu’ils les tutoient et ne les craignent plus ? Gesril était gâté dans la maison où j’étais gourmandé : nous avons été tous deux d’honnêtes gens et des fils tendres et respectueux. Telle chose que vous croyez mauvaise met en valeur les talents de votre enfant ; telle chose qui vous semble bonne, étoufferait ces mêmes talents. Dieu fait bien ce qu’il fait : c’est la Providence qui nous dirige, lorsqu’elle nous destine à jouer un rôle sur la scène du monde. » | |||
Comment jouer un rôle et faire parler de soi ? |
« Un homme médiocre qui prend bien son temps, peut avec de l’adresse et de la patience, jouer un rôle et faire parler de lui. » | |||
Être vieux, c’est ne plus trouver de rôle ardent à jouer, c’est tomber dans cette insipide relâche où on n’attend plus que la mort… |
La vieille Henrouille est toute ragaillardie d’avoir survécu à une tentative d’assassinat. | |||
« Elle voulait aussi
m’étonner par sa supériorité devant ces événements, et nous confondre
tous d’un seul coup, nous humilier en somme. Elle s’était saisie d’un rôle avantageux dont elle tirait de l’émotion. On n’en finit pas d’être heureux. On en a jamais assez de bonheur, tant qu’on est capable de jouer un rôle. Des jérémiades, pour les vieillards, ce qu’on lui avait offert depuis vingt ans, elle n’en voulait plus la vieille Henrouille. Celui-là de rôle qui lui arrivait, elle ne le lâchait plus, virulent, inespéré. Être vieux, c’est ne plus trouver de rôle ardent à jouer, c’est tomber dans cette insipide relâche où on n’attend plus que la mort. Le goût de vivre lui revenait à la vieille, tout soudain, avec un rôle ardent de revanche. Elle n’en voulait plus mourir, du coup, plus du tout. De cette envie de survivre, elle rayonnait, de cette affirmation. Retrouver du feu, un véritable feu dans le drame. Elle se réchauffait, elle ne voulait plus le quitter le feu nouveau, nous quitter. Pendant longtemps, elle avait presque cessé d’y croire. Elle en était arrivée à ne plus savoir comment faire pour ne pas se laisser mourir dans le fond de son jardin gâteux, et puis soudain, voici que lui | survenait un grand orage de dure actualité, bien chaude. « Ma mort, à moi ! qu’elle hurlait à présent la mère Henrouille, je veux la voir ma mort à moi ! Tu m’entends ! J’ai des yeux pour la voir, moi ! Tu m’entends ! j’ai des yeux encore à moi ! Je veux la regarder bien ! » Elle ne voulait plus mourir, jamais. C’était net. Elle n’y croyait plus à sa mort. » |
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Montaigne (1533-1592), Essais, III, chap. 10, « De ménager sa volonté » ; Seuil, « l’Intégrale » : Œuvres complètes, 1967, p. 407b | |
G. Casanova (1725-1798), Mémoires : histoire de ma vie, chap. xcvii ; Arléa, 1993, p. 1307-1308. | |
C. Roy (1915-1997), L’Étonnement du voyageur (1987-1989), « 1989 : Printemps », “Rôles et personnages”, Porquerolles, 12 juin 1989 ; Gallimard, « NRF », 1990, p. 230. | |
Chateaubriand (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe, Ière partie, livre i, « Combat contre les deux mousses », La Vallée-aux-Loups, juin 1812 ; Le livre de Poche, « Classiques modernes – La Pochothèque », 1973, éd. Gengembre (1998), p. 41. | |
A. Rivarol (1753-1801), Les Pensées, « Le chasseur de chères maximes » ; Le Cherche Midi, « Les pensées », 1989, p. 32. | |
L.-F. Céline (1894-1961), Voyage au bout de la nuit (1932) ; Gallimard, « Pléiade » : Romans, t. i, 1981, p. 322-323. | |