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L’intéressant est désintéressé :
raisonnablement, nous devrions n’en avoir que faire, mais nous ne sommes
pas raisonnables ; nous sommes curieux de tout…
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« Si je passe
en revue ma vie professionnelle et mon choix du métier d’historien, je prends
conscience d’une façon d’être que j’ai, ou d’une lacune, comme | on voudra :
je suis assez indifférent au Bien, public ou non ; comme historien
et comme professeur, seul m’attire ce qui intéressant.
Or l’intéressant n’est pas le bien, ni le beau, ni le réel, ni l’aimable,
ni l’utile, ni l’indispensable, ni même l’important ; ou plutôt, lorsqu’il
est ceci ou cela, bon ou beau, ce n’est pas cela qui le rend intéressant.
En un mot, l’intéressant est désintéressé :
raisonnablement, nous devrions n’en avoir que faire, mais nous ne sommes
pas raisonnables : nous sommes curieux de tout. L’intéressant est ce
que nous recherchons par « pure curiosité » de savant, même si,
par ailleurs, c’est une chose importante pour la politique. Une chose est
intéressante lorsque nous sommes incapables de dire pourquoi nous nous intéressons
à elle : nous savons seulement qu’elle nous intéresse. Ainsi saint
Augustin et Heidegger blâment-ils la curiosité comme nous détournant futilement
de cela seul qui, selon eux, devrait vraiment nous importer. Nietzsche la
maudit aussi à sa manière.
Rare parmi les philosophes, Malebranche a su parler de la curiosité et a
reconnu qu’elle était irréductible à nos autres tendances ou attitudes et
ne s’expliquait que par elle-même ; il le dit à sa manière : c’est
Dieu lui-même qui fait que nous nous intéressons aux victoires et défaites
de notre prince, « aux étoiles et aux comètes, à la Chine et au Japon »,
pour la seule raison que ce sont là des | œuvres de Dieu, comme nous le
sommes nous-mêmes.
Les alpinistes ont cherché à gravir les montagnes pour la seule raison qu’elles
existaient, comme le disait l’un d’eux ; de même l’histoire ne s’intéresse
au passé que parce qu’il a existé. Cette curiosité n’est pas réductible,
à mon sens, à quelque besoin existentiel, tel que de chercher ses racines,
ni à une interrogation du passé à partir des problèmes du présent ;
ou, du moins, ce sont là des aspects secondaires et des explications un
peu confuses, mais passons. » |
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