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« Je m’applaudissais
aussi de m’intéresser à une grande chose : la maxime de mon milieu,
que seules les dupes ont l’imprudence de « faire de la politique »,
me paraissait ignoble. En même temps, j’avais le sentiment vague d’une réalité
curieuse et noble, celle de s’intéresser tout court, de s’intéresser ou
non. Peut-être qu’une molécule d’oxygène trouve intéressant d’en attirer
deux d’hydrogène. Le plus | mécanique des événements, le plus causal, le
plus déterminé demeure surprenant. La causalité mécanique n’explique rien :
on la constate, et elle est aussi surprenante que la finalité.
Il arrive du neuf parce que nous nous intéressons et que nous avons, avec
les êtres et les choses, ce rapport que Georg Simmel a bien décrit, et qu’ignorent
freudisme et marxisme : l’homme est un être qui a l’étrange capacité
de se passionner pour des choses qui ne concernent en rien ses intérêts.
Quand on manifestait à Paris contre le Shah d’Iran, ce n’était pas par « intérêt
syndical », mais par une solidarité que Simmel, précisément, appelle
« relation objectale ». Si nous apprenions que le totalitarisme
vient de triompher sur Proxima Centauri, à cent années-lumière, nous en
serions affligés. La charité ou la commisération relèvent aussi de cela.
Le rapport de l’homme aux choses ne s’explique pas seulement à partir de
ce qu’il y a à l’intérieur de l’homme. Sinon, l’altruisme serait de l’égoïsme,
puisque l’altruiste « se plaît » à n’être pas égoïste… Ratiocination
bien connue et qui tourne en rond. « Je suis un homme qui pense à autre
chose (qu’à moi) », disait Hugo… D’Aristote à Sénèque, l’anthropologie
antique, qui se représente l’homme comme un scaphandrier autosuffisant et
autodéfensif, n’est jamais arrivée à sortir de ce problème purement verbal
de l’altruisme égoïste, faute d’avoir compris qu’il | existe des relations
« objectales », de l’intérêt désintéressé. »
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