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  Avant-propos  

  Ce tour de la prison nous a été soufflé la première fois, croyons-nous, par L’Œuvre au noir, l’opération la plus risquée dans toute aventure : le chemin, scabreux au départ, est difficile à trouver. Avec un peu de tenacité, nous avons fini par quitter à petits pas le Noir pour entrer dans le Rouge. Dans cette phase où la lumière couve encore sous les ténèbres, la prose de Surveiller et punir nous a donné le courage de persévérer malgré tout, tandis que nous marchions dans la boue – cet autre bout du monde. Ce n’était pas le moment de fléchir, nous touchions au but, quand soudain le Blanc jaillit.
À l’exemple du miroir, nous aimons réfléchir. Cependant, nul prêt à penser, la maison ne fait pas crédit. Autant le dire tout de suite, nous n’avalerons ni slogan ni couleuvre. À l’encontre des communiqués de presse, nous nous essayons à l’exorcisme. Cet exercice est de toute façon profitable : résister n’est guère, sauf exception, une partie de plaisir, mais les sommations de la phraséologie en vigueur nous assomment. Nous avons deux gourdins avec nous, en forme de remarques. Première remarque : sous n’importe quelle occupation, grande ou petite, déjouer les mots d’ordre est un acte de survie, le B.A.-BA de la vie cérébro-spinale. Heureux à ce jeu, heureux en tout. Seconde remarque : nous savons assez d’histoire ou de géographie pour ne pas confondre aujourd’hui le Vercors avec Vichy : l’eau n’y est pas la même, quoi qu’on vous dise. En outre, nous avons appris à nos dépens que, dans la démocratie contemporaine, un type derrière un micro, neuf fois sur dix, est un micro-fasciste. Quand il s’agit d’une caméra, nous voilà bien ! Et c’est pourquoi une puce nous pousse inlassablement à re-prendre la tangente à chaque justification glorieuse, comme à chaque remontrance de la vertu.
L’intérêt de ce glossaire est assez mince. C’est la porte étroite. L’idée serait, au fond, que chacun puisse, non pas repartir avec sa petite idée à la mode du jour, mais sans l’ombre d’aucune idée. Et comme pour déniaiser les esprits, le mieux est de commencer par le sien – charité oblige –, nous raserons les murs en deux mots : amour et liberté. Le reste est immonde et ne vaut rien.
Aux esprits libres, un dernier mot  : encore un effort !
         
Fenêtres pour changer d’air.
  « D’où vient que nous élisions certains mots ? Qu’il y en ait à nos yeux d’aimables ou de détestables, alors que d’autres ne nous disent rien ou plus rien, et qu’il en existe de si lourds qu’il nous paraisse urgent de nous en délivrer ?
De là est né le projet de fabriquer un petit lexique à usage personnel, où je recenserais un certain nombre de mots appartenant à mon Vocabulaire, privé celui-là, et où j’essayerais de dire ce qu’ils signifient, ce qu’ils évoquent pour moi.
Lexique « à usage personnel » : façon d’inviter chacun à aller à la rencontre du sien propre, au-delà des notions qui sont le bien commun des psychanalystes, un bien commun auquel chacun recourt comme à une boîte à outils.
En cours de réalisation, le projet initial s’est quelque peu modifié. Ce n’était pas seulement des mots qui me venaient à l’esprit, mais des images, des traces que des rencontres avec des patients, des amis, des lectures avaient laissées en moi.
Et puis, il y a nécessairement dans un lexique, même s’il ne suit pas l’ordre alphabétique de A à Z, quelque chose de clos, d’achevé. Or mon propos était opposé à toute clôture, comme à tout discours argumenté censé « se tenir », au risque de nous tenir enfermés en lui. Je souhaitais plutôt m’ouvrir, et éventuellement ouvrir pour le lecteur, quelques fenêtres, en faisant mienne la prescription des médecins d’autrefois : Vous devriez changer d’air, cela vous fera du bien. »
 
         
         
         
         
         
         
       
         
       
         
       
         
       
         
       
         
         
         
         
         
         
         
         
         

   
J.-B. Pontalis, Fenêtres, « Avant-propos », Gallimard, « NRF », 2000, p. 13-14.
   
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