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Dernière édition MMV - Équinoxe du printemps  
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  N’avoir plus rien à désirer, comment l’entendez-vous : Tædium vitæ ou Nirvana ?
 

 

Quand Julien sortit de la chambre de Mme de Rênal, on eût pu dire, en style de roman, qu’il n’avait plus rien à désirer
Assis dans le jardin avec Mme de Rênal, Julien lui annonce à l’oreille qu’il ira la voir dans sa chambre ce soir à deux heures du matin. La déclaration faite, son impertinence le fait trembler. Sur le coup des deux heures, il s’y rend, tremblant sur ses genoux et ne sachant pas ce qu’il y fera. Il se jette alors aux pieds de son amie et fond en larmes. Cette maladresse l’aide à triompher des réserves de Mme de Rênal, mais il ne sait pas goûter simplement le bonheur qui se présente : il continue de se contraindre à jouer le rôle du séducteur.
 
 
  « Quelques heures après, quand Julien sortit de la chambre de Mme de Rênal, on eût pu dire, en style de roman, qu’il n’avait plus rien à désirer. En effet, il devait à l’amour qu’il avait inspiré et à l’impression imprévue qu’avaient produite sur lui des charmes séduisants, une victoire à laquelle ne l’eût pas conduit toute son adresse si maladroite.
Mais, dans les moments les plus doux, victime d’un orgueil bizarre, il prétendit encore jouer le rôle d’un homme accoutumé à subjuguer des femmes : il fit des efforts d’attention incroyables pour gâter ce qu’il avait d’aimable. Au lieu d’être attentif aux transports qu’il faisait naître, et aux remords qui en relevaient la vivacité, l’idée du devoir ne cessa jamais d’être présente à ses yeux. Il craignait un remords affreux et un ridicule éternel, s’il s’écartait du modèle idéal qu’il se proposait de suivre. En un mot, ce qui faisait de Julien un être supérieur fut précisément ce qui l’empêcha de goûter le bonheur qui se plaçait sous ses pas. C’est une jeune fille de seize ans, qui a des couleurs charmantes, et qui, pour aller au bal, a la folie de mettre du rouge. »
       
     
       
     
       
     
       
     
       
     
       
       

 

   
Stendhal (1783-1842), Le Rouge et le Noir : chronique de 1830, I, chap. xv, « Le chant du coq » ; Gallimard, « Pléiade » : Romans et nouvelles, t. i, 1952, p. 298.
   

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