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Dernière édition MMV - Équinoxe du printemps  
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Dans le bouddhisme japonais (zen), le , qu’on prononce « mou », va dans le même sens que mushotoku.

       
se traduit généralement par « rien » ou « non », mais c’est une mauvaise traduction, car nous n’avons, pour exprimer ce rien, que des mots négatifs et nous ne comprenons le rien que d’une manière négative : , c’est ce qui reste quand on a tout oublié
 

«  (prononcez Mou) se traduit généralement par « rien » ou « non », mais c’est une mauvaise traduction, car nous n’avons, pour exprimer ce rien, que des mots négatifs et nous ne comprenons le rien que d’une manière négative. Pourtant, Saint Jean de la Croix disait : Todo es Nada, et mon maître Sengôku Rôshi m’avait offert presque à notre première rencontre une calligraphie qui signifiait aussi « Rien égale Tout, Tout égale Rien ». , ce n’est pas non, ce n’est pas oui, ce n’est pas une absence, c’est au contraire l’Absolu de la Présence.
Un grand Maître chinois du viiie siècle, Jôshû, répondit à un moine qui lui demandait si les chiens ont une nature-de-bouddha, par cette simple syllabe : . C’est devenu le kôan le plus célèbre et le plus efficace de toute l’histoire du zen.
Cependant, tous les commentaires, toutes les approches intellectuelles, tous les renseignements historiques que l’on peut trouver dans les livres ou entendre pendant les Teishôs ne peuvent en rien nous faire saisir le sens réel de . Ils peuvent nous aider, nous mettre sur la voie, mais tant que nous essaierons de « comprendre » d’une manière rationnelle, ce sera, disent les maîtres, comme si nous voulions « traverser un mur de fer d’un coup de poing ».
Le moine savait très bien en posant sa question que le Nirvâna Sûtra, recueil des dernières paroles du Bouddha, déclare explicitement : « tous les êtres ont la nature-de-Bouddha, », et par conséquent le chien ne peut pas en être exclu. Mais Dôgen nous donne déjà une indication de direction pour résoudre ce kôan, lorsqu’il préconise de traduire | plutôt : « dans tous les êtres est la nature-de-Bouddha ». Il nous fait déjà passer d’emblée du monde de l’avoir dans le monde de l’être. En fait, le moine pose sa question pour mettre son maître à l’épreuve. Qu’il réponde un oui ou un non ordinaire et il tombe aussitôt dans le dualisme.
Le maître Jôshû n’était pas n’importe qui. Contemporain de Charlemagne, il vécut 120 ans de 778 à 897. Il devint moine à 60 ans, mena une vie errante jusqu’à 80 ans, puis devint chef du Temple Kwannon-in. Il est le personnage principal de beaucoup d’autres anecdotes et d’un certain nombre de kôans. Plein d’humour, comédien quand il le faut, sachant user du geste, de la grimace, toujours inattendu dans ses réponses, c’est une figure remarquable du zen chinois. Sa première rencontre avec Obaku le colosse, autre grande personnalité de cette époque, est intéressante. Dès que le vieil Obaku vit apparaître Jôshû, il se mit à courir en tous sens dans le temple, en hurlant : « Au feu, au feu ! », puis il se précipita sur Jôshû, l’empoigna, le souleva de terre et lui cria : – « Parle ! Parle ! » Alors Jôshû froidement lui dit :
– « Tu bandes ton arc alors que les voleurs sont déjà partis ! » Obaku aussitôt le relâcha, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre en éclatant de rire, tout au plaisir de s’être mutuellement reconnus dans leur « nature-de-Bouddha » .
À la question du chien qui possède ou non la nature-de-Bouddha, Jôshû fait la réponse peut-être la plus laconique de sa carrière. On imagine la grimace qui dut l’accompagner. Tel est pris qui croyait prendre ! Le moine questionneur, d’ailleurs, ne comprit pas. Il crut, lui aussi, que voulait dire non. Tout le problème est là : dans le sens de , pas tellement dans le chien, ni dans la nature-de-Bouddha. Les commentaires de Mumon sont significatifs à ce sujet.
« Dans la pratique du Zen, dit Mumon, vous devez franchir la barrière dressée par les patriarches. Pour connaître cette merveille qu’on appelle l’illumination, vous devez plonger votre regard dans la source de vos pensées et les annihiler. Si vous ne pouvez franchir la barrière, c’est-à-dire empêcher la naissance des pensées, vous êtes un fantôme errant parmi les arbres et les herbes.
Qu’est-ce que cette barrière dressée par les patriarches ? C’est , la barrière du suprême enseignement. En fin de compte, c’est une barrière qui n’en est pas une. Celui qui l’a franchie ne peut pas | seulement voir Jôshû face à face, mais il peut marcher la main dans la main avec tous les patriarches, écouter avec leurs oreilles, voir avec leurs yeux.
Quelle merveille ! Qui ne voudrait franchir cette barrière ? Pour cela, il vous faut vous concentrer jour et nuit, vous interroger par chacun de vos 360 os et des 84 000 pores de votre peau. Ne confondez pas avec le néant, et ne le concevez pas en termes d’existence ou de non-existence. Vous devez atteindre le point où il vous semblera avoir avalé un morceau de fer rouge que vous ne pourrez plus vomir malgré tous vos efforts. Lorsque vous aurez rejeté toute illusion et atteint la pureté après beaucoup d’années, de telle manière que l’intérieur et l’extérieur ne feront plus qu’un, vous savourerez pleinement votre état d’esprit mais, comme un muet qui a fait un rêve, vous serez incapable d’en parler. Lorsque vous aurez atteint l’illumination, vous étonnerez le ciel et la terre… Alors, si vous rencontrez un Bouddha tuez-le ! Un Maître de Zen, tuez-le ! Ainsi libérés des servitudes de la vie et de la mort, vous aurez la grande liberté. Dans toutes les existences, les naissances, vous vivrez dans la paix et la vérité. Comment alors vous concentrer sur ce  ? Employez-y toutes vos forces et toute votre énergie. Si vous vous efforcez sans relâche, alors votre esprit s’éclairera soudain comme une lumière surgissant dans la nuit. Quelle merveille en effet ! » (Mumon Kan, xiie siècle.)
, c’est ce qui reste quand on a tout oublié, tout abandonné, quand on est descendu jusqu’au plus profond de soi-même, par une pratique assidue et opiniâtre de zazen.
, c’est la frontière entre le monde de l’avoir et le monde de l’être, un nouveau monde cependant ou être et avoir se confondent, où il n’est plus question de savoir si l’on a la nature-de-Bouddha ou si elle est en vous naturellement.
, c’est le non-dualisme, le non-ego, le non-profit, le non-être, la non-pensée ; donnez à tous ces « non » tous les noms que vous voudrez, mais avec l’esprit positif qu’apporte le zen dans la vie de tous les jours.
, c’est la borne au bord du chemin. C’est le Rien et c’est le Tout, c’est le début et la fin de tout. |
Abandonner tout, son ego, sa manière de penser, sa manière d’être, quel sacrifice ! Mais, comme disait encore Saint Jean de la Croix « Depuis que je me suis mis en rien, je sais que plus rien ne me manque ! »
Il ne faut pas essayer de comprendre ce rien. Il faut seulement s’asseoir, se « mettre en rien » , s’identifier à et alors, plus rien ne me manque.
En effet, quelle merveille ! »

       

 

   
C. Durix, Cent clés pour comprendre le Zen, 42, « Mû (mou : rien) » ; Le courrier du livre, 1976, p. 137-140.
   

 

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