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Dernière édition MMV - Équinoxe du printemps  
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On dirait qu’il y a du et du dans le mushotoku.

       
Le mot-clé du zen c’est mushotoku, c’est-à-dire l’esprit de non-profit (pour rien, sans motif, sans but aucun)
  « Aussi longtemps que vous pensez que vous pratiquez zazen pour la réalisation de quelque chose, ce n’est pas la vraie pratique. » (Shunryu Suzuki Rôshi. )
L’un des mots clés de notre époque, c’est « motivation ». Il nous faut absolument en trouver pour la moindre de nos actions, et si l’on n’en trouve pas, on se charge d’aller fouiller dans les bas-fonds de notre subconscient pour en découvrir une avec l’acharnement du chien qui recherche un os profondément caché sous terre.
Le mot-clé du zen c’est mushotoku, c’est-à-dire l’esprit de non-profit. Tant que l’on ne fait pas zazen sans raison, sans motivation même subconsciente, c’est un zazen mort-né. Il ne faut pas faire zazen pour obtenir quelque chose, pour améliorer sa santé physique ou mentale, pour acquérir la paix de l’âme, pas même pour atteindre le satori. Il faut faire zazen pour rien : « seulement s’asseoir et c’est tout », comme disait Dôgen.
Mushotoku est difficile. Il conditionne la vraie pratique du zen. Si l’on s’efforce pourtant de l’obtenir, il devient une recherche de profit et se détruit lui même. Il faut seulement le vivre dans le moment présent, sans regret du passé ni souci de l’avenir, unis à ce qui nous entoure sans nous laisser troubler.
Taisen Deshimaru raconte souvent l’histoire de l’animal qui s’appelait Satori. Un bûcheron, sa hache sur l’épaule, allait dans la forêt couper du bois. Sur son chemin, un joli petit animal qu’il ne connaissait pas, gambadait.|
– « Comment t’appelles-tu ? lui dit-il. »
– « Je m’appelle Satori, dit l’animal. »
Qu’il est joli se dit le bûcheron. Je vais essayer de l’attraper et je l’emmènerai chez moi. Mais l’animal malin devina ses pensées :
– « Tu veux m’attraper, lui dit-il, et me garder pour toi, mais tu n’y arriveras pas ! »
Le bûcheron piqué au jeu essaya toutes les ruses et toutes les feintes possibles. Au moment où il croyait le saisir, l’animal d’un bond se mettait hors de portée. Alors il fit semblant de se coucher au pied d’un arbre et de s’endormir. Mais l’animal une fois de plus le devina.
– « Tu penses que, lorsque je te croirai endormi, je m’approcherai suffisamment pour que tu m’attrapes. Détrompe-toi ! Je suis plus malin que toi, tu ne m’auras jamais ! »
Et l’animal Satori continuait à gambader autour du bûcheron, se rapprochant jusqu’à le toucher, puis fuyant brusquement dès qu’il allongeait le bras.
À la fin, épuisé, le bûcheron renonça. Après tout, se dit-il, je n’ai pas besoin de cet animal. Il se mit à abattre ses arbres et, le travail aidant, oublia complètement son projet de capture. Vers le soir, alors qu’il abattait sa hache une fois de plus, il trouva gisant à ses pieds, séparé en deux par le tranchant de son instrument, l’insaisissable animal Satori.
Un célèbre ingénieur s’était mis en tête de fabriquer une machine qui ne serve absolument à rien : qui ne produise pas d’énergie, ni de fumée, ni de chaleur, ni de mouvement. Après plusieurs années d’études, il dut y renoncer. Il n’y a pas de machine possible pour ne rien faire. C’est que la machine, « prolongement du corps de l’homme » n’a pas encore trouvé ce « supplément d’âme », cette « mystique » dont parlait Bergson.
Au siècle des motivations, du profit, le zen nous propose l’acte pur par excellence : seulement s’asseoir, pour rien, sans motif, sans but.
Peut-être que mushotoku, l’esprit de non-profit, pourrait devenir le dernier mot et la dernière chance de notre civilisation qui meurt. »
       
     
       

 

   
C. Durix, Cent clés pour comprendre le Zen, 34, « Mushotoku » ; Le courrier du livre, 1976, p. 135-136.
   

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