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  Société  

 

  Nous ne voulons pas parler de la société des gens de théâtre. Nous n’évoquons pas non plus la comédie humaine, qui consiste à dauber en douce, railler, se gausser. Ce jeu de dupes est trop bête pour ne pas être humain, trop humain. Il y a franchement mieux à faire que l’histrion.
         
Théâtre et société.
  « Le théâtre s’adresse à la moyenne des hommes, qui réunis ensemble fondent leurs passions, leurs conventions, leurs préjugés, en une masse commune ; pour être entendu de ce monstre à mille têtes, pour que ses dures oreilles veuillent accepter les sons, il faut que l’artiste adopte un de ces « tempéraments », comme on dit en musique, où la crudité des couleurs trop tranchées disparaisse sous un compromis qui les uniformise. Tout au plus pourra-t-il, s’il a du flair, démuseler sa vérité et lâcher la bride à sa hardiesse prudente sur la piste que lui tracent les passions du temps et ses désirs cachés. Car, dans la contrainte générale que s’impose une société, il advient que, pour se soulager, elle conçoive obscurément un désir d’émancipation partielle, dans un sens déterminé : tel un homme qui, souffrant d’un malaise général et ne voulant pas remonter jusqu’à la source du mal, fixe son attention sur un des symptômes et veut se persuader que c’est contre cela que doit porter son effort. Le moraliste, le satirique, en profitent pour faire la lumière sur ce point : c’est un trou dans la haie, la vérité passe au travers ; mais elle est un chien dressé, elle obéit aux ordres et ne va guère plus loin qu’il ne lui est permis. Quand le ton de la société est | donné par un roi, qui trouve son profit ou sa satisfaction à rabaisser l’orgueil des hautes classes, la comédie, ainsi que fait Molière, daube sur les vices de la noblesse ou sur les ridicules des bourgeois enrichis et des faquins de lettres. Quand le sceptre est passé aux mains d’une bourgeoisie ambitieuse, raisonneuse, vigoureuse et râblée, la satire s’exerce sur le terrain religieux, car là est le rival qu’il s’agit d’évincer. Mais ce que le libre-parler gagne d’un côté, il est rare qu’il ne le perde, d’un autre. On dirait que l’écrivain rachète sa hardiesse sur un point par des concessions adulatrices sur tout le reste. L’homme ne supporte pas volontiers l’universelle critique, la vision trop sincère qui déprécie le monde, « cette coque de noix », où il est logé. Il en veut secrètement à qui l’empêche de sommeiller sur l’oreiller des illusions. Il sait bien que ce sont des illusions ; à la rigueur, il consent à ce qu’on le lui rappelle. Mais d’un trait, en passant, d’un rire, et sans insister. Pour qu’il l’agrée, la vérité doit s’affubler d’un masque, symbole ou paradoxe. Pour qu’il l’agrée, la vérité doit paraître un mensonge. »
 
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         
         

   
R. Rolland (1866-1944), Compagnons de route (1936), III : « Quatre essais sur Shakespeare », 3 : “La Vérité dans l’œuvre de Shakespeare”, publié dans la revue Demain, Genève, 15 avril 1916 ; Albin Michel, 1961, p. 78-79.
   
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