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Dernière édition MMV - Équinoxe du printemps  
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  La prison est un système d’enfermement, de répression, de punition et de contrôle. Vase clos.
       
Chercher à briser les entraves des systèmes.
  À la lecture de l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Claudel note dans son journal :
      « Il faut chercher à briser les entraves des systèmes philosophiques et scientifiques. La philosophie et la science ne doivent pas être systématiques (Claude Bernard). »
       
Nous sommes coincés, pas libres pour deux sous, obligés d’éprouver tels et tels sentiments, de former telles et telles idées : pris dans le système.
  « Pour le chrétien comme pour le marxiste, nous naissons déjà déterminés. Nous sommes coincés, pas libres pour deux sous, obligés d’éprouver tels et tels sentiments, de former telles et telles idées : pris dans le système. Il y a l’histoire de la société (pour le marxiste) qui pèse sur nous : les machines, les classes. Pour le chrétien, toute l’histoire de l’âme : sa création, sa chute, son rachat. Comment se débattre là-dessous ? »
       
Les prisons sont profondément liées au système : la prison est cohérente avec le système, sauf que le système pénal n’a pas encore trouvé ces formes insidieuses et souples que la pédagogie, la psychiatrie, la discipline générale de la société ont trouvées…
  « Les prisons sont anachroniques et sont pourtant profondément liées au système. En France, du moins, elles ne se sont pas assouplies, à la différence de la Suède ou des Pays-Bas, mais dans ces pays leurs fonctions sont absolument cohérentes avec les fonctions assurées, non plus par les vieux collèges ou par les hôpitaux psychiatriques dans leur ancienne forme, mais par des institutions relativement souples, ce que l’on appelle, en France, la « psychiatrie de secteur », la psychiatrie ouverte, le contrôle médical, la surveillance psychologique et psychiatrique auxquels la population est exposée d’une manière diffuse. Il s’agit toujours de la même fonction. La prison est cohérente avec le système, sauf que le système pénal n’a pas encore trouvé ces formes insidieuses et souples que la pédagogie, la psychiatrie, la discipline générale de la société ont trouvées. »
       
On a le système pénal que l’on mérite
  « – Est-il souhaitable de réformer le système pénitentiaire actuel pour alléger les conditions de détention ? Ou bien est-il nécessaire de rompre avec toutes les idées traditionnelles sur le droit pénal, l’application des peines, etc ?
– Le système pénitentiaire, c’est-à-dire le système qui consiste à enfermer des gens, sous une surveillance spéciale, dans des établissements clos, jusqu’à ce qu’ils se soient amendés – c’est du moins ce qu’on suppose –, a totalement échoué. Ce système fait partie d’un | système plus vaste et plus complexe qui est, si vous voulez, le système punitif : les enfants sont punis, les écoliers sont punis, les ouvriers sont punis, les soldats sont punis. Enfin, on est puni pendant toute sa vie. Et on l’est pour un certain nombre de choses, qui ne sont plus les mêmes qu’au xixe siècle. On vit dans un système punitif. C’est cela qu’il faut mettre en question. La prison, en elle-même, n’est qu’une partie du système pénal, et le système pénal n’est qu’une partie du système punitif. Cela ne servirait à rien de réformer le système pénitentiaire sans réformer le système pénal et la législation pénale. Mais il faut bien que la législation ait à peu près cette forme, s’il est vrai que la stabilité de la société capitaliste repose sur tout ce réseau de pression punitive qui s’exerce sur les individus.
Il faudrait donc changer tout le système ?
– On a le système pénal que l’on mérite. Il y a une analyse, dite marxiste, un peu facile, qui consiste à mettre tout cela sur le compte des superstructures. À ce niveau, on peut toujours imaginer des aménagements et des modifications. Mais, en fait, je ne crois pas que le système pénal fasse partie des superstructures. En réalité, c’est un système de pouvoir qui pénètre profondément dans la vie des individus et qui porte sur leur rapport à l’appareil de production. Dans cette mesure, il ne s’agit pas du tout d’une superstructure. Pour que les individus soient une force de travail disponible pour l’appareil de production, il faut un système de contraintes, de cœrcition et de punition, un système pénal et un système pénitentiaire. Ce n’en sont que des expressions.
Peut-on le prouver historiquement ?
– Il y a eu depuis le début du xixe siècle, toute une série d’institutions qui ont fonctionné sur le même modèle, qui obéissaient aux mêmes règles, et dont la première description, presque délirante, se trouve dans le célèbre Panopticon de Bentham : institutions de surveillance où les individus étaient fixés, soit à un appareil de production, une machine, un métier, un atelier, une usine, soit à un appareil scolaire, soit à un appareil punitif, correctif ou sanitaire. Ils étaient fixés à cet appareil, contraints d’obéir à un certain nombre de règles d’existence, qui encadraient toute leur vie – et cela, sous la surveillance d’un certain nombre de gens, de cadres (contremaîtres, infirmiers, gardiens de prison) qui disposaient de moyens de punir consistant en amendes dans les usines, en corrections physiques ou morales dans les écoles et les asiles et, dans les prisons, en un certain nombre de peines violentes et essentiellement physiques. Hôpitaux, asiles, orphelinats, collèges, maisons | d’éducation, usines, ateliers avec leur discipline et, finalement, prisons, tout cela fait partie d’une espèce de grande forme sociale du pouvoir qui a été mis en place au début du xixe siècle, et qui a sans doute été l’une des conditions du fonctionnement de la société industrielle, si vous voulez capitaliste. Pour que l’homme transforme son corps, son existence et son temps en force de travail, et la mette à la disposition de l’appareil de production que le capitalisme cherchait à faire fonctionner, il a fallu tout un appareil de contraintes ; et il me semble que toutes ces contraintes qui prennent l’homme depuis la crèche et l’école, le conduisent à l’asile de vieillards en passant par la caserne, tout en le menaçant – « Ou bien tu vas à l’usine, ou bien tu échoues en prison ou à l’asile d’aliénés ! » – de la prison ou de l’hôpital psychiatrique relèvent d’un même système de pouvoir. Dans la plupart des autres domaines, ces institutions se sont assouplies, mais leur fonction est restée la même. Les gens ne sont plus aujourd’hui encadrés par la misère, mais par la consommation. Comme au xixe siècle, même si c’est sur un autre mode, ils sont toujours pris dans un système de crédit qui les oblige (s’ils se sont acheté une maison, des meubles…) à travailler à longueur de journée, à faire des heures supplémentaires, à rester branchés. La télévision offre ses images comme des objets de consommation et empêche les gens de faire ce que l’on craignait déjà tant au xixe siècle, c’est-à-dire aller dans des bistrots où se tenaient des réunions politiques, où les regroupements partiels, locaux, régionaux de la classe ouvrière risquaient de produire un mouvement politique, peut-être la possibilité de renverser tout ce système. »
       

 

   
P. Claudel (1868-1955), Journal, janvier 1935 ; Gallimard, « Pléiade », t. ii, 1969, p. 77.
   
J. Paulhan (1884-1968), Miscellanées, « Dialogue sur l’existentialisme », 1950 ; Cercle du livre précieux : Œuvres complètes, t. iv, 1969, p. 431.
   
M. Foucault (1926-1984), « Prisons et révoltes dans les prisons », entretien avec B. Morawe, juin 1973 ; Gallimard, « Quarto » : Dits et écrits, t. i, 2001, p. 1299.
   
M. Foucault (1926-1984), « Prisons et révoltes dans les prisons », entretien avec B. Morawe, juin 1973 ; Gallimard, « Quarto » : Dits et écrits, t. i, 2001, p. 1297-1299.
   

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