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Dernière édition MMV - Ours - Minuit  
Plaisir  
       
 

Au théâtre, le plaisir est le principal. Le reste est secondaire. Une partie de plaisir, sinon rien, le précepte vaut depuis que le monde est monde – et c’est tant mieux.
On pourrait se livrer à une longue méditation sur ce principe, côté cour, côté jardin, acteur, dramaturge ou spectateur. Le point de vue de Dieu en sait assez là-dessus pour rendre immondes et misérables les lourds bipèdes qui s’en écartent.

       
Le plaisir actif est le seul plaisir de Dieu, dont la foule civique a la caricature dans l’acte de chair : au théâtre, même la foule jouit un peu de ce plaisir de création, toute relativité observée
  « Qu’est-ce qu’une pièce de théâtre ? Une fête civique ? Une leçon ? Un délassement ?
Il semble d’abord qu’une pièce de théâtre soit une fête civique, étant un spectacle offert à des citoyens assemblés. Mais notons qu’il y a plusieurs publics du théâtre, ou tout au moins deux : l’assemblée du petit nombre des intelligents et celle du grand nombre. Pour ce grand nombre, les pièces à spectacle (spectacles de | décors et ballets, ou d’émotions visibles et accessibles, Châtelet et Gaîté, Ambigu et Opéra-Comique), qui lui sont délassement surtout, leçon peut-être un peu, parce que le souvenir en dure, mais leçon de sentimentalité fausse et d’esthétique fausse, qui sont les seules vraies pour ceux-là, à qui le théâtre du petit nombre semble incompréhensible ennui. Cet autre théâtre n’est ni fête pour son public, ni leçon, ni délassement, mais action ; l’élite participe à la réalisation de la création d’un des siens, qui voit vivre en soi-même, en cette élite, l’être créé par soi, plaisir actif qui est le seul plaisir de Dieu, et dont la foule civique a la caricature dans l’acte de chair.
Même la foule jouit un peu de ce plaisir de création, toute relativité observée. »
       
     
       
     
       
     
       
     
       
 
   
       
       

 

   
A. Jarry (1873-1907), Textes relatifs à Ubu roi, « Réponses à un questionnaire sur l’art dramatique », 3 ; Gallimard, « Pléiade » : Œuvres complètes, t. i, 1972, p. 411-412.
   

 

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