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Dernière édition MMV - Équinoxe du printemps  
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  Si les mots ont un sens, la réinsertion signifie la récidive de l’insertion.
       
« La peine de privation de liberté a pour but essentiel l’amélioration et la réinsertion du condamné » (1945) : cette phrase, que les magistrats français citent à présent avec tant de déférence, a été formulée dans les mêmes termes il y a plus de cent cinquante ans ; cette phrase a été trop souvent répétée pour qu’on lui accorde encore le moindre crédit.
  « – Les faits publiés dans les brochures du Groupe <G.I.P.> – locaux pourris, sévices sadiques, mépris répété des prescriptions médicales, châtiments illicites avec, ensuite, administration de tranquillisants, etc. – , sont en opposition choquante avec les intentions du législateur français, qui formulait, dès 1945, dans la réforme du droit pénitentiaire : « La peine de privation de liberté a pour but essentiel l’amélioration et la réinsertion du condamné. » Êtes-vous d’accord avec cette conception ? Et pourquoi, à votre avis, n’a-t-elle pas été réalisée jusqu’à présent ?
– Cette phrase, que les magistrats français citent à présent avec tant de déférence, a été formulée dans les mêmes termes il y a plus de cent cinquante ans. Quand on a mis en place les prisons, c’était pour en faire des instruments de réforme. Cela a échoué. On s’était imaginé que l’enfermement, la rupture avec le milieu, la solitude, la réflexion, le travail obligatoire, la surveillance continuelle, les exhortations morales et religieuses conduiraient les condamnés à s’amender. Cent cinquante ans d’échec ne donnent pas au système pénitentiaire un titre pour demander qu’on lui fasse encore confiance. Cette phrase a été trop souvent répétée pour qu’on lui accorde encore le moindre crédit. »
       
Démystifier les programmes de réinsertion sociale, parce que comme on dit, ces programmes réadapteraient les délinquants aux conditions sociales dominantes, ce n’est pas tellement cela le problème ; c’est la désocialisation qui est le problème...
  « Démystifier les programmes de réinsertion sociale, parce que comme on dit, ces programmes réadapteraient les délinquants aux conditions sociales dominantes, ce n’est pas tellement cela le problème. C’est la désocialisation qui est le problème. Je voudrais critiquer l’opinion que l’on trouve malheureusement trop souvent chez les gauchistes, une position vraiment simpliste : le délinquant, comme le fou, est quelqu’un qui se révolte, et on l’enferme parce qu’il se révolte. Je dirai l’inverse : il est devenu délinquant parce qu’il est allé en prison. Ou, mieux, la micro-délinquance qui existe au départ s’est transformée en macro-délinquance par la prison. La prison provoque, produit, fabrique des délinquants, des délinquants professionnels, et on veut avoir ces délinquants parce qu’ils sont utiles : ils ne se révoltent pas. Ils sont utiles, manipulables – ils sont manipulés. »
       
Il n’y a pas de réinsertion : tous les prétendus programmes de réinsertion sont au contraire des programmes de marquage, des programmes d’exclusion, des programmes qui poussent ceux qu’ils concernent toujours plus loin dans la délinquance…
  « Il faut qu’il y ait des délinquants et des criminels pour que la population accepte la police, par exemple. La peur du crime qui est attisée en permanence par le cinéma, la télévision et la presse en est la condition pour que le système de surveillance policière soit accepté. On dit couramment que la réinsertion sociale signifie adaptation aux rapports de domination, accoutumance à l’oppression ambiante. De sorte qu’il serait très mauvais de réinsérer les délinquants. Il faudrait que cela cesse. Cela me paraît quelque peu éloigné de la réalité. Je ne sais pas comment les choses se passent en Allemagne, mais en France c’est comme cela : il n’y a pas de réinsertion. Tous les prétendus programmes de réinsertion sont au contraire des programmes de marquage, des programmes d’exclusion, des programmes qui poussent ceux qu’ils concernent toujours plus loin dans la délinquance. Il n’en va pas autrement. On ne peut donc pas parler d’adaptation aux rapports bourgeois capitalistes. Au contraire, nous avons affaire à des programmes de désocialisation (…). Quand quelqu’un est passé par ces programmes de réinsertion, par exemple par une maison d’éducation spécialisée, par un foyer destiné aux prisonniers libérés, ou par n’importe quelle instance qui aide et surveille à la fois les récidives, cela mène à ce que l’individu reste marqué comme délinquant : auprès de son employeur, auprès du propriétaire de son logement. Sa délinquance le définit lui et le rapport que l’environnement entretien avec lui, si bien qu’on en arrive à ce que le délinquant ne puisse vivre qu’en milieu criminel. La permanence de la criminalité n’est nullement un échec du système carcéral, c’est au contraire la justification objective de son existence. »
       
       

 

M. Foucault (1926-1984), « Prisons et révoltes dans les prisons », entretien avec B. Morawe, juin 1973 ; Gallimard, « Quarto » : Dits et écrits, t. i, 2001, p. 1297.
   
M. Foucault (1926-1984), in Dits et écrits , t. III, (1977) ; Gallimard, 1994, p. 393.
   
M. Foucault (1926-1984), in Dits et écrits, t. iii, (1977) ; Gallimard, 1994, p. 394.
   

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