Il ne faut pas être sorti d’une école de commerce pour comprendre que la notion d’intérêt est capitale. Dans un problème pratique, on se demande par exemple si le jeu en vaut la chandelle, ou plus généralement si ça en vaut le coup. Ce calcul mental plus ou moins compliqué se retrouve aussi bien dans le domaine théorique, où il en coûte forcément de penser. À quel prix ? Et pour quel profit ? Au bilan, chacun veut y trouver son compte. L’intérêt est en cause, l’intérêt est en question. Seulement il ne suffit pas de formuler une question pour poser un problème. Si la question est sans intérêt, le problème est nul et non avenu : c’est un faux problème. Autrement dit, l’intérêt se gagne et s’invente.
	Exemple d’une question sans intérêt.		« La science est-elle responsable ? La question fut agitée et largement débattue au cours du xxe siècle. Invariablement, la réponse convenue était : la science est neutre, indépendante, innocente des applications qu’on (c’est-à-dire les militaires, les politiques, les industriels… les méchants) en fait. L’inventeur de la hache est-il responsable du fait que certains s’en sont saisis pour fendre le crâne de leurs voisins ? En revanche, lorsque les applications étaient positives, les scientifiques ont rarement hésité à en tirer argument. La question n’a guère de sens tant qu’elle n’est pas concrète, c’est-à-dire tant que le terme « responsabilité » ne répond pas à la question technique : « Qui est contraint de répondre de quoi ? », et avec les corrélats pratiques de cette définition : « De quels moyens celui qui doit répondre dispose-t-il pour tenir cette position ? » Sans réponses à ces questions, le grand thème de la responsabilité, de la science ou des scientifiques, restera matière à dissertations morales. Sans intérêt. »

	I. Stengers & B. Bensaude-Vincent, 100 mots pour commencer à penser les sciences (2003), « Responsabilité », Les Empêcheurs de penser en rond / Le Seuil, 2003, p. 350.