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  Lazzarone  

  À Naples, le nom de lazzarone – pluriel lazzaroni – désigne un homme « du bas peuple ». Comme la canaille, les sacripants et les voyous, le lazzarone est voué aux gémonies. (Le peuple de la prison, c’est aussi le bas peuple.)
         
  À Milan, un jour de pluie où la Scala est déserte, Stendhal trouve M. Cavalletti seul dans sa loge. Stendhal rapporte les propos de Cavaletti sur les curiosités de Naples, et sur un type caractéristique du pays de Naples : le lazzarone.
Le sentiment du devoir, qui est le bourreau du Nord, n’atteint pas le cœur du lazzarone : s’il tue son compagnon dans un mouvement de colère, son dieu lui pardonne, pourvu qu’il se donne le nouveau plaisir d’aller bavarder sur sa colère aux pieds du moine qui le confesse…
  « “Ce qui est admirable et digne de votre attention, c’est le caractère du lazzarone, qui n’a pour loi que la crainte et l’adoration du d… saint Janvier.
Ce dévouement de l’âme, que l’on appelle amour ici, n’arrive pas jusqu’à Naples ; il est mis en fuite par la sensation présente, ce tyran de l’homme du Midi. À Naples, si une jolie femme loge vis-à-vis de vous, ne manquez pas de lui faire des signes.
Ne vous laissez pas mettre en colère comme un Anglais par tout ce que vous verrez d’africain en ce genre. Détournez les yeux, si vous êtes vieux ou triste, et rappelez-vous que votre grand objet, à Naples, c’est le lazzarone. Même votre illustre Montesquieu a dit une sottise sur les lazzaroni. Regardez bien avant de conclure. Le sentiment du devoir, qui est le bourreau du Nord, n’atteint pas le cœur du lazzarone. S’il tue son compagnon dans un mouvement de colère, son dieu, saint Janvier, lui pardonne, pourvu qu’il se donne le nouveau plaisir d’aller bavarder sur sa colère aux pieds du moine qui le confesse. La nature, en réunissant sur la baie de Naples tout ce qu’elle peut donner à l’homme, a nommé le lazzarone son fils aîné. L’Écossais, tellement civilisé, et qui ne fournit qu’un crime capital en six ans, n’est qu’un cadet qui, à force de travail, a fait fortune. Comparez le lazzarone à demi nu, au paysan écossais que, pendant six mois de | l’année, l’aspérité de son climat force à faire des réflexions, et des réflexions sévères, car la mort le guette de toutes parts à cent pas de sa chaumière. C’est à Naples que vous verrez l’immense utilité d’un despote tel que Napoléon. Tâchez de faire amitié avec un propriétaire de vignes d’Ischia ou de Caprée, qui vous tutoiera dès le second jour si vous lui plaisez. Faute de cinquante années du despotisme d’un Napoléon, la république ne pourrait s’établir parmi le bas peuple napolitain. Leur absurdité va jusqu’à maudire le général ***, qui, pendant dix-huit mois, a fait disparaître le vol et l’assassinat dans les pays au midi de Naples. Le maréchal Davout, roi de Naples, eût agrandi l’Europe de ce côté. Je ris quand je vois les Anglais se plaindre d’y être assassinés. À qui la faute ? En 1802, Napoléon civilisa le Piémont par mille supplices qui ont empêché dix mille assassinats. Je ne dis pas qu’à la Louisiane, chez un peuple sans passions, raisonneur et flegmatique, l’on ne puisse parvenir à supprimer la peine de mort. En Italie, Milan exceptée, la peine de mort est la préface à toute civilisation. Ces imbéciles de Tedesk, qui essayent de nous gouverner, ne font pendre un assassin qu’autant qu’il confesse son crime. Ils entassent ces malheureux à Mantoue, et, quand leur nourriture fatigue leur avarice, ils profitent du 12 février, anniversaire de la naissance de leur empereur, pour les rejeter dans la société. Ces gens-là, en vivant ensemble, prennent l’émulation des forfaits, et deviennent des monstres, qui, par exemple, versent du plomb fondu dans l’oreille d’un paysan qui dort dans la campagne, pour jouir de la mine qu’il fait en mourant.” Après cette grave et triste conversation, je me suis sauvé chez la contessina C***, où l’on a ri et joué au pharaon jusqu’à trois heures du matin. »
 
       
         
       
         
       
         
       
         
       
         
         
         
         
         
         
         
         
         

   
Stendhal (1783-1842), Rome, Naples et Florence : troisième édition (1826), Milan, 6 décembre 1816 ; Gallimard, « Pléiade » : Voyages en Italie, 1973, p. 364-365.
   
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